Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/257

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il se rendit alors à Amsterdam. Il y trouva un accueil cordial auprès des Juifs portugais, qui lui assurèrent un subside annuel. Pour gagner sa vie, il entra comme maître d’hébreu dans la maison d’un riche Juif portugais. Moise de Chavès. Mais, afin d’être indépendant, il renonça à ces fonctions, et, comme Spinoza, se mit à polir des verres de lunettes.

Ainsi délivré des soucis matériels, Luzzato consacra de nouveau ses loisirs à la poésie. À l’occasion du mariage de son ancien élève Jacob de Chavès avec Rahel da Vega Enriquès, il composa un drame qui était remarquable par la forme, la langue et les idées et avait pour titre hébreu : Layescharim tekila, Gloire aux hommes de bien. Dans cette œuvre poétique, qui n’est pas un vrai drame, Luzzato fait paraître en scène et parler de pures abstractions, telles que l’Intelligence et la Sottise, la Droiture et la Méchanceté. Il montre la foule, capricieuse et changeante, se fiant à ceux qui la flattent et la trompent, et repoussant, dans son aveuglement et son ignorance, les conseils de la sagesse ; il montre également l’intrigue et l’ambition luttant contre le vrai mérite et réussissant à triompher. Au dénouement, la victoire reste pourtant au Mérite, qui acquiert la reconnaissance et la gloire en sachant obéir à la raison et à la patience.

Cette œuvre, une des plus belles productions de la poésie néo-hébraïque, fait voir ce que Luzzato aurait pu créer dans ce domaine s’il avait pu s’arracher aux séductions du mysticisme, mais il n’en eut pas la force. Après avoir achevé cette œuvre, et dans l’espoir de pouvoir se consacrer plus complètement et plus librement à la Cabale, il partit pour la Palestine. À peine arrivé, il fut emporté par la peste, à l’âge de quarante ans (1747). On l’enterra à Tibériade. C’est ainsi que disparut, dans la vigueur de l’à ; e, un des plus remarquables représentants de la poésie néo-hébraïque, mort, lui aussi, dans la Terre Sainte, comme le porte Juda Hallévi.

Jusqu’alors, les vrais talmudistes étaient demeurés réfractaires à l’action délétère de la Cabale. Possédant, d’ordinaire, un jugement sûr, accoutumés à raisonner avec méthode et précision, ils ne s’étaient laissés prendre ni aux fantasmagories de cette fausse science, ni aux hallucinations de quelques illuminés. Les rabbins s’étaient surtout élevés avec énergie contre les sectes sabbathiennes