Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/372

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Juifs, dit-il, peuvent se consoler de la destruction de Jérusalem et de la perte de l’arche d’alliance par la pensée qu’il leur reste un trésor inestimable, la Bible… Je dois le réveil de mes sentiments religieux à ce livre sacré, qui a été pour moi une source de salut aussi bien qu’un objet d’admiration enthousiaste. Autrefois, je n’aimais pas Moïse, probablement parce que j’étais imprégné de l’esprit grec et que je ne pardonnais pas au législateur des Hébreux son antipathie pour l’art. Je ne comprenais pas alors que Moise est, au contraire, un très grand artiste… Ce qu’il a fait est gigantesque et indestructible… D’une pauvre tribu de bergers il a créé un peuple qui se rit des siècles, un peuple de Dieu qui peut servir de modèle aux autres peuples… il a créé Israël. Pas plus que sur l’artiste, je ne me suis toujours exprimé avec un respect suffisant sur son œuvre, sur les Juifs. Et ailleurs : Ces Juifs auxquels l’univers doit son Dieu lui ont également donné son Verbe, la Bible ; ils ont protégé et défendu ce livre à travers toutes les péripéties… jusqu’à ce que le protestantisme le leur eût emprunté pour le traduire et le répandre dans le monde. Mieux que beaucoup de ses contemporains juifs, Heine comprit cette vérité que le judaïsme a révélé Dieu et la morale à l’humanité tout entière.

Malgré leur apostasie, Bœrne et Heine rendirent un important service à leurs anciens coreligionnaires. Sans avoir pu faire disparaître totalement la haine de leurs compatriotes pour les Juifs, ils réussirent pourtant à lui imposer un frein. En rappelant les violences accomplies au cri de Hep ! Hep ! Heine dit : De pareils désordres ne peuvent plus se reproduire, car la presse est une arme, et il existe deux Juifs qui savent s’exprimer en allemand : l’un, c’est moi, et l’autre Bœrne. Heine eut raison. Depuis leur intervention, les Juifs d’Allemagne n’eurent plus à souffrir de tels excès. Les Rühs, les Fries et autres ennemis du judaïsme, qui déniaient tout talent aux Juifs, furent obligés de mettre une sourdine à leurs diatribes.

Mais l’Allemagne aussi dut beaucoup à ces deux écrivains, qui enrichirent ce pays d’un grand nombre de nouvelles idées. Ils créèrent pour leurs compatriotes une langue élégante, claire et correcte, et éveillèrent en eux le sentiment de la liberté. Ce furent eux qui propagèrent en partie en Allemagne les principes qui triomphèrent en 1848.