Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/38

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Mais ce qui détermina le vote de nombreux théologiens français, ce fut le fait, cité comme argument par les amis des dominicains, que trois siècles auparavant, à la demande de l’apostat juif Nicolas Donin et sur l’ordre du pape Grégoire IX, saint Louis avait fait brûler les exemplaires du Talmud. On déclara donc que le Miroir de Reuchlin, qui défendait le Talmud, contenait des hérésies et devait être brûlé. Grande fut la joie des dominicains, qui s’empressèrent de publier un nouveau pamphlet pour faire connaître le verdict de la Sorbonne.

Pendant ce temps, la procédure avançait d’un pas excessivement lent à Rome, et les dominicains s’efforçaient d’en ralentir encore la marche. À l’acte d’accusation, Hochstraten avait joint une traduction du Miroir qui altérait en beaucoup d’endroits le sens de l’original allemand et attribuait des hérésies à l’auteur. La Commission chargée de l’enquête invita donc un Allemand présent à Rome, Martin de Gröningen, à faire une traduction fidèle. Ce furent alors les dominicains qui réclamèrent. Par suite de toutes ces chicanes, l’affaire restait toujours au même point et avait déjà coûté à Reuchlin 400 florins d’or. Il était à craindre que les dominicains n’atteignissent leur but et que Reuchlin, ruiné par les frais, ne pût continuer à se défendre. Ses amis résolurent alors de ne pas persister à faire juger ce procès à Rome, mais de le porter directement devant l’opinion publique.

Dans ce but, un des plus jeunes humanistes publia une série de lettres pleines d’esprit, de verve et de mordante satire, qui créèrent un nouveau genre dans la littérature allemande. Ces Lettres des hommes obscurs, Epistolæ obscierorum virorum, parues dans le courant de l’année 1515, et dont les premières sont probablement l’œuvre de Crotus Rubianus, de Leipzig, sont adressées en grande partie à Ortuin de Graes et écrites dans un style qui imite le langage des moines incultes.

Elles étaient au grand jour l’orgueil de ces fanatiques, leur extraordinaire ignorance, leurs vilaines passions, leur morale relâchée, leurs radotages. Tous les ennemis de Reuchlin, les Hochstraten, les Arnaud de Tongres, les Ortuin de Graes, les Pfefferkorn et leurs suppôts, avec l’Université de Paris, y sont criblés de traits acérés. L’impression produite par ces épîtres satiriques fut