Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/73

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Malheureusement, il se produisit un incident que les fanatiques surent exploiter habilement contre les Marranes. Un jour du mois de février 1539, on trouva affichée à la porte de la cathédrale et d’autres églises de Lisbonne une proclamation affirmant que ie Messie n’est pas encore venu, que Jésus n’est pas le Messie et que le christianisme est un mensonge. Le Portugal tout entier fut profondément impressionné par ces blasphèmes, et une enquête fut ouverte pour découvrir le coupable. Le roi offrit 10.000 ducats à celui qui ferait connaître le criminel, et le nonce du pape, convaincu, avec beaucoup d’autres, que le coup avait été préparé par les ennemis des Marranes pour exciter la colère du souverain contre ces derniers, offrit, de son côté, 5.000 ducats. Dans l’espoir de détourner d’eux tout soupçon, les nouveaux chrétiens firent placer aux portes des églises et de la cathédrale cette proclamation : Moi, l’auteur de la première affiche, je ne suis ni Espagnol, ni Portugais, mais Anglais, et donnerait-on une récompense de 20.000 ducats que l’on ne me découvrirait pas. On mit pourtant la main sur le coupable. C’était un Marrane du nom d’Emmanuel da Costa. Soumis à la torture, il avoua son crime, eut les mains coupées et fut ensuite brûlé.

À la suite de cet incident, le roi passa outre aux observations du légat pontifical et laissa libre cours aux persécutions de l’Inquisition. La vie des Marranes fut ainsi livrée à leurs plus implacables ennemis. Parmi les inquisiteurs se trouvait João Soarès, dont le pape disait qu’il était un moine ignorant, mais plein d’audace et d’ambition, et animé de sentiments détestables. Grâce à l’activité de Soarès et de ses acolytes, les prisons se remplirent de Marranes suspects et les bûchers s’allumèrent nombreux pour les hérétiques. Le poète Samuel Usque, qui assista, dans sa jeunesse, à ces scènes lamentables, en a laissé la plus navrante description : L’Inquisition, dit-il, a brûlé un grand nombre de nos frères ; ce n’est pas isolément, mais par groupes de trente et de cinquante qu’elle les a livrés aux flammes. Elle a même obtenu ce triste résultat que le peuple chrétien se glorifie de ces massacres, assiste avec bonheur aux autodafés des fils de Jacob et apporte du bois pour alimenter les bûchers. Les pauvres Marranes vivent dans une anxiété continuelle, craignant à tout instant d’être