Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 5.djvu/74

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arrêtés…, et l’heure qui apporte aux autres hommes le repos et la tranquillité augmente encore leurs tourments et leurs frayeurs. Leurs fêtes et leurs joies sont changées en deuil.

On pourrait supposer qu’émanant d’un écrivain juif, ce récit est exagéré, mais il est absolument confirmé par le rapport d’un Collège de cardinaux chargé de faire une enquête officielle sur les traitements infligés aux Marranes. Sur une simple dénonciation, dit ce rapport, les faux chrétiens sont enfermés dans un sombre cachot, où nul membre de leur famille n’est autorisé ni à les voir, ni à leur prêter assistance. On les condamne sans leur en indiquer la raison. Leurs avocats, si on leur en donne, aident parfois à les faire déclarer coupables. Un malheureux affirme-t-il qu’il est sincèrement chrétien et n’a nullement commis les crimes qu’on lui impute, il est livré aux flammes et ses biens sont confisqués. Avoue-t-il, au contraire, à son confesseur que, sans le vouloir, il s’est rendu coupable de tel ou tel péché, il est encore brûlé, sous prétexte qu’il s’obstine à nier sa préméditation… S’il réussit même à démontrer son innocence, il est condamné à une amende, pour qu’on ne dise pas qu’il a été arrêté injustement. Du reste, soumis aux plus horribles tortures, les inculpés : avouent tout ce que l’on veut.

Mais la cruauté même de ces persécutions inspira aux Marranes l’énergie nécessaire pour essayer de les faire cesser. Ils envoyèrent auprès du pape un nouveau délégué pour solliciter son intervention, et la lutte recommença entre le Saint-Siège et la cour du Portugal. L’infant Henrique, qui était grand inquisiteur, fit établir la liste des péchés dont les Marranes se rendaient incessamment coupables et la transmit à Rome (février 1542). À ce réquisitoire, les Marranes ripostèrent par un long mémoire (1544) où ils exposèrent, avec preuves à l’appui, toutes les iniquités et toutes les violences dont ils avaient été victimes depuis le règne de João II et de Manoël. Malheureusement, Paul III avait besoin, à ce moment, de l’aide des fanatiques. Pour combattre le protestantisme et rendre à la papauté son ancien prestige, il dut reconnaître le nouvel ordre des Jésuites (1540) et approuver la proposition faite par Pietro Caraffa d’introduire l’Inquisition à Rome (1542). Loyola et Caraffa étaient alors les maîtres de Rome, plus