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PRÉFACE

Cette œuvre de bonne foi, moins brillante que la lutte, mais qui donne des résultats aussi durables et aussi utiles, est la meilleure préparation à ce consentement unanime des consciences et des intelligences, sans lequel on ne fonde ni la vérité scientifique, ni la conscience morale, ni un état social.

Mais ce serait mal comprendre cette impartialité que d’y voir une neutralité passive, une indifférence dédaigneuse de distinguer le vrai du faux, le juste de l’injuste. Il y a, dans l’ordre des sciences morales et sociales aussi bien que dans les sciences exactes et naturelles, des faits qu’il n’est plus permis de nier. Ces faits-là, la Grande Encyclopédie les affirmera sans hésitation, car les hommes qui l’ont conçue et qui travaillent à son édification sont des hommes de leur temps. Ils en ont les aspirations, et, sans regret pour un passé qu’ils respectent, mais qu’ils ne veulent pas voir revivre, ils regardent devant eux, désireux de servir la cause de la liberté et du progrès.

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Telle est la tâche à la fois difficile et modeste à laquelle les collaborateurs de la Grande Encyclopédie ont consacré plusieurs années de leur vie, sans avoir l’illusion de penser qu’ils font une œuvre définitive.

Que ceux qui nous ont précédés ne soient pas jaloux de nous ; nous serons remplacés nous-mêmes un jour, comme ils l’ont été successivement les uns et les autres.

Penser faire une encyclopédie qui ne doive jamais disparaître serait une espérance chimérique.

Dans un quart de siècle, la science humaine aura marché. Des faits anciennement connus se seront modifiés ou seront mieux appréciés, des faits nouveaux se seront révélés, des théories anciennes seront mortes, des théories nouvelles seront nées. Les mêmes mots peuvent à vingt ou trente ans d’intervalle n’avoir plus la même valeur. Et à ce changement dans la nature des choses, il faudra bien que corresponde un changement dans la manière de les exposer ; — c’est-à-dire qu’à un ensemble de faits nouveaux, d’idées nouvelles, il faut une encyclopédie nouvelle.

Que l’on ne s’émeuve pas, d’ailleurs, de cette vie éphémère d’une encyclopédie. L’œuvre n’en aura pas moins eu son jour et son utilité.

Les encyclopédies ne tombent pas comme les feuilles, et leurs printemps durent de longues années. Il faut au grand public un espace de temps assez étendu pour apprécier les lacunes d’une telle œuvre et éprouver le besoin d’en voir faire une nouvelle édition. Entre deux encyclopédies successives marquant chacune une étape de l’humanité, il y a une période intermédiaire ; celle qui est née peut continuer à vivre, celle qui doit venir n’est pas encore à terme.

Puissions-nous marquer cette constatation du travail humain, ce tableau de notre temps, de traits qui en fassent vivre le souvenir, comme vit encore de nos jours le souvenir de l’œuvre de Diderot et de d’Alembert !


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