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ACADÉMI
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d’autres temps, une marque de faiblesse ou de timidité d’esprit, c’en est une au contraire de hardiesse et d’indépendance que d’appartenir désormais à l’Académie. Pour y faire entrer Malesherbes, en souvenir des services qu’il a rendus aux encyclopédistes comme directeur de la librairie, on viole toutes les règles protectrices de la dignité des élections, et on lui offre à l’unanimité le fauteuil qu’il n’a pas demandé. Ce n’est plus la philosophie, seulement, c’est la politique en sa personne qui fait son entrée ce jour-là dans l’Académie française. Turgot en serait, comme Malesherbes, si, pour des raisons qui demeurent ignorées, il n’avait refusé d’en être. De 1775 à 1789 à peu près, l’invasion continue ; Laharpe, Chamfort, Condorcet, Morellet y entrent sans combat ; ni les attaques, ni les railleries ne servent de rien contre elle. Et l’on ne s’expliquerait pas, après tant de marques de la faveur publique, que l’Académie française eût succombé sous les coups d’une révolution qu’elle-même avait préparée pour une si large part, si, d’abord, les révolutions n’étaient toujours funestes aux lettres et, puis, si, selon l’ordinaire des corps en crédit, elle n’avait cru trop aisément qu’étant satisfaite elle-même, l’opinion devait l’être avec elle, comme elle, et surtout s’arrêter aux bornes qu’elle lui avait marquées.

On est ici presque obligé de parler d’une compagnie d’hommes de lettres comme on le pourrait faire d’une assemblée politique. Unis pour le combat, les philosophes, en effet, se divisent dans la victoire ; deux ou même trois partis se dessinent parmi eux, et, dès les premiers jours de la Révolution, les discussions du dehors ont leur retentissement immédiat et violent dans l’Académie française. Est-ce pour y mettre un terme et se débarrasser d’une contradiction qui l’irrite jusqu’à la fureur que Chamfort compose, contre les académies en général et l’Académie française en particulier, la diatribe violente que Mirabeau s’était chargé de prononcer du haut de la tribune ?

Mirabeau disparait avant d’avoir pu lui donner cette 

satisfaction, mais Chamfort publie son réquisitoire en brochure, et les effets ne s’en font pas attendre. Si pendant les années 1792 et 1793 l’Académie continue de tenir comme elle peut ses séances, à peine y vient-il quelques académiciens, et le courage lui manque pour remplacer ceux qui meurent. Il y a des fauteuils qui depuis quatre ans demeurent sans titulaire. Enfin, le 5 août 1793, a lieu la dernière réunion. Morellet, directeur, emporte chez lui l’acte authentique de la fondation et les registres de la compagnie. Il était temps, car, trois jours plus tard, à la Convention, Grégoire faisait voter le décret dont le premier art. était ainsi conçu : « Toutes les académies et sociétés littéraires patentées par la nation sont supprimées. » Peu de jours après, la copie du Dictionnaire était déposée au comité d’instruction publique, chargé d’y corriger tout ce qui s’y trouverait de contraire à l’esprit républicain. Enfin le 24 juillet 1794 l’œuvre de destruction s’achevait par la confiscation des biens de l’Académie. Cette interruption d’existence ne devait pas être, en apparence au moins, de longue durée ; mais si l’on regarde au fond plutôt qu’à l’apparence, l’Académie française ne devait réellement renaître qu’avec les Bourbons rétablis. La loi du 25 octobre 1795 (3 brumaire an IV) constitutive d’un Institut national, — grande pensée sans doute et grande création, — se soucia si peu de ressusciter l’Académie qu’au contraire, se lût— elle proposée d’en abolir jusqu’aux derniers vestiges, on ne voit pas qu’elle eût pu s’y prendre autrement. Sous le nom de littérature et beaux-arts, en effet, la troisième classe de l’Institut, contre deux sections : l’une de grammaire et l’autre de poésie, n’en comprenait pas moins de six autres, où Von avait pêle-mêle entassé les débris de l’Académie des beaux -arts et de l’Académie des inscriptions. Avec sa section de déclamation surtout, rien ne ressemblait moins à ce que l’Europe connaissait depuis cent cinquante ans sous le nom d’Académie française, et ce n’en était pas même l’ombre. On ne peut pas en dire autant de la seconde classe de Y Institut, tel qu’il fut réorganisé par l’arrêté consulaire du 23 janvier 1803 (3 pluviôse an XI). Cette seconde classe, pour le nombre de ses membres, arrêté comme jadis à quarante, par son nom de classe de littérature et de langue française , enfin par sa séparation d’avec la classe des beaux-arts, reprenait effectivement quelques airs de l’ancienne Académie. Plusieurs traits toutefois y manquaient encore. Aussi quelques académiciens refusèrent-ils de paraître sanctionner, en s’en laissant mettre, une espèce de mensonge ou de leurre historique. A leurs yeux, sans son nom d’autrefois, l’Académie n’était plus l’Académie française ; mais elle l’était encore bien moins sans cette primauté qu’elle tenait, dans l’histoire, du titre même de sa fondation, et, dans l’opinion publique, de la différence que l’on avait toujours mise entre elle et les autres. Ce fut l’ordonnance du 20 mars 1816 qui lui rendit enfin ses droits, et, en l’autorisant « à reprendre ses anciens règlements » , sinon cette primauté, mais du moins les moyens de la reconquérir. Et sans doute elle l’a reconquise, puisqu’en effet, des cinq académies qui forment aujourd’hui l’Institut de France, elle est la seule en qui se soit renouée la chaîne des traditions, mais surtout la seule qui se suffise et dont on ne voit pas que les membres sollicitent habituellement l’honneur de faire partie de l’une des quatre autres.

En rendant ses « anciens règlements » à l’Académie française, l’ordonnance du 21 mars 1816 commençait malheureusement par les violer elle-même. Onze académiciens en étaient exclus, par un coup d’autorité de M. de Vaublanc, lui-même d’ailleurs ancien préfet de l’Empire, et neuf autres y étaient pareillement introduits. Deux élections — celle de Laplace et d’Auger — complétèrent la compagnie. Comme d’ailleurs il semble qu’elle prît aisément son parti de cette violence, il y aurait peut-être quelque ridicule à s’en indigner plus qu’elle ne le fit elle-même.

Les historiens de l’Académie française arrêtent communément son histoire à cette date, et, en effet, nous sommes encore trop près des choses et des hommes de la Restauration pour en pouvoir parler avec une entière impartialité. Ce n’est pas pour le pouvoir plus équitablement de la monarchie de Juillet ou du second Empire. Bornons-nous donc à dire, d’une manière générale, que, dans le siècle où nous sommes, l’Académie française a paru se complaire dans une affectation d’indépendance que l’on ne saurait sans doute lui reprocher. Elle avait comblé de tant de flatteries Louis XIV et Napoléon I er que l’on peut bien lui passer d’avoir joué quelquefois à contrarier Charles X ou piquer Napoléon III. La différence était d’ailleurs assez considérable entre les personnes et les temps pour expliquer et justifier cette diversité de conduite et de langage. 11 convient aussi d’ajouter que, depuis deux cent cinquante ans aujourd’hui qu’elle existe, l’Académie est entrée en possession des privilèges que l’âge confère aux institutions comme aux hommes. Il vaut mieux qu’un vieillard soit aimable, mais il a le droit d’être quinteux. Si maintenant on demande en quel sens et comment s’est modifiée la composition de l’illustre compagnie, deux sortes d’hommes y sont entrés en grand nombre, dont les uns n’existaient pas jadis et dont les autres n’y avaient pas accès : les hommes politiques et les universitaires. Les premiers peuvent passer pour y représenter les grands seigneurs , les prélats, ou, ministres eux-mêmes, les ministres d’autrefois. On s’est plaint avec juste raison que leur présence n’y ait pas toujours très bien servi les intérêts des lettres. Les seconds n’y représentent qu’eux-mêmes, et, dépouillés heureusement qu’ils sont de la pédanterie de leurs prédécesseurs, une classe d’hommes, pour ainsi parler, naturellement académique , puisque la culture de l’esprit, qui n’est qu’un luxe pour tant de gens, leur est au contraire un devoir professionnel. Ce qui abonde ne vicie pas, c’est un