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ARISTOPHANE
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donner à la fête où devait avoir lieu la représentation tout l’éclat désirable. Parfois même, des poètes qui avaient fait leurs preuves se voyaient exclus du concours par la sottise ou la mauvaise volonté de l’archonte : c’est ainsi qu’un chœur comique fut refusé à Cratinus, un chœur tragique à Sophocle. Soit qu’Aristophane craignit, à cause de sa jeunesse, d’essuyer un refus du même genre, soit, comme il le dit dans la parabase des Chevaliers, qu’instruit par l’exemple de ses prédécesseurs, si souvent victimes de l’inconstance des Athéniens, il voulût, avant de concourir pour son propre compte, gagner la faveur des spectateurs et s’assurer leur sympathie, c’est par l’intermédiaire de deux de ses amis, Philonidès et Callistratos, poètes et sans doute aussi acteurs comiques, qu’il fit jouer ses premières pièces. Sa première comédie, où le chœur était formé de personnages occupés à célébrer un banquet sacré dans le temple d’Hercule, avait pour titre les Banqueteurs (Δαιταλήζ). Ce fut Philonidès qui se chargea de la présenter au public (427 av. J.-C.). Il n’en reste que des fragments. Aristophane y mettait aux prises, sous les traits de deux jeunes gens de mœurs opposées, l’un vertueux, l’autre débauché, l’ancienne et la nouvelle éducation. C’était déjà la thèse qu’il devait reprendre plus tard et développer avec tant de bonheur dans les Nuées. Les Banqueteurs remportèrent le second prix. L’année suivante, aux Dionysies urbaines, qui se célébraient à la fin de mars, Aristophane mit sur la scène une comédie toute politique, les Babyloniens. C’était le nom que les Athéniens donnaient en général à tous les esclaves de race barbare, sans doute à cause du grand nombre d’esclaves que la Babylonie fournissait à l’Attique. Le chœur des Babyloniens était composé d’esclaves meuniers. Nous n’avons encore de cette comédie que des fragments. Elle était dirigée contre le démagogue Cléon qui, déjà à ce moment, jouissait auprès du peuple d’un crédit considérable. Cléon ressentit vivement l’offense et, sous prétexte que les Babyloniens, où les institutions démocratiques d’Athènes n’étaient point ménagées, constituaient un véritable délit politique, il porta devant le conseil des Cinq-Cents contre Callistratos, l’auteur nominal de la pièce, une accusation de haute trahison (είσαγγελια) ; puis, atteignant Aristophane derrière son ami, il lui intenta une γραφή ξενίαζ. On appelait ainsi l’action criminelle dirigée contre l’étranger qui se faisait passer pour citoyen. Nous ignorons l’issue de ce procès. Il semble toutefois qu’Aristophane en sortit sans dommage, car nous le voyons de nouveau, l’année d’après, attaquer ouvertement, dans ses Acharniens, le terrible Cléon et rire de ses fureurs. Sa querelle avec Cléon dura d’ailleurs jusqu’à la mort de celui-ci (sept. 422). Après les Acharniens, où l’impétueux démagogue était encore une fois pris à partie, le poète fut de nouveau cité en justice. Une troisième accusation parait devoir être placée après la représentation des Chevaliers (424) ; mais elle n’aboutit pas plus que les deux premières. Alors, semble-t-il, ne pouvant obtenir des juges la condamnation de son ennemi, Cléon, décidé à se venger, fit fouetter Aristophane en plein public. On rit et le bruit courut que le poète, rendu plus réservé par cette correction, avait fait sa paix avec le démagogue. Il s’en défend dans un passage des Guêpes (jouées en 422), où, faisant allusion au châtiment que Cléon lui a infligé, il reproche amèrement aux Athéniens de l’avoir laissé frapper sans lui porter secours. Les Acharniens sont la première pièce d’Aristophane qui nous ait été conservée. Ils furent représentés aux fêtes Lénéennes de l’année 425 av. J.-C. (derniers jours de janv.) sous le nom de Callistratos, comme les Babyloniens. Ils obtinrent le premier prix (V. Acharniens). Enhardi par ce succès et sûr, désormais, de la faveur du public, Aristophane se décida, l’année suivante, à demander un chœur pour son compte et fit, sous son propre nom, représenter la comédie des Chevaliers.


Ce fut un véritable triomphe. Voici, en deux mots, le sujet de la pièce. Un vieil Athénien, Démos (le Peuple), a récemment acheté un esclave paphlagonien dont les bassesses le charment et qui a toute sa confiance. Mais autant ce nouveau serviteur, qui n’est autre que Cléon, est humble avec son maître, autant il se montre dur et arrogant avec les autres esclaves. Aussi, deux d’entre eux, auxquels le poète ne donne point de nom, mais qui représentent évidemment les généraux Démosthène et Nicias, cherchent-ils à se défaire de cet odieux camarade. Ils lui dérobent, pendant son sommeil, les oracles à l’aide desquels il dupe le Démos et le gouverne à sa guise. Un de ces oracles leur révèle que le jour où le Paphlagonien trouvera plus fourbe que lui, son règne cessera. Un charcutier vient à passer avec son éventaire : les deux amis l’appellent et lui persuadent qu’appartenant à la lie du peuple, il est l’homme désigné par l’oracle. Dès lors, nous assistons à un concours entre le Paphlagonien et le charcutier, qui essaie de le supplanter auprès du Démos. Tous deux s’empressent autour du mettre, protestant de leur zèle et le comblant d’attentions. Enfin, le Démos découvre que le Paphlagonien le trompait : furieux, il le chasse et donne sa place au charcutier. Dans cette comédie, le chœur, composé de chevaliers athéniens, classe intelligente et riche, représente la modération qui sied à la vraie démocratie, par opposition aux emportements aveugles d’une démagogie ignorante et brutale. Voici les autres pièces d’Aristophane qui sont venues jusqu’à nous. Citons en premier lieu les Nuées, représentées en 423, pendant la fête des Dionysies urbaines. Ce fut le vieux Cratinus qui remporta le prix avec, une comédie intitulée la Bouteille. Aristophane remania son œuvre, mais il est probable qu’il ne la remit pas au concours. C’est la seconde rédaction que nous possédons. Les Nuées sont dirigées contre Socrate, que le poète confond avec les sophistes, dont l’enseignement était alors en grande faveur auprès des Athéniens. Strepsiade, riche campagnard, n’a qu’un fils, Phidippide, qu’il aime tendrement. Par malheur, ce fils a la passion des chevaux et ruine son père. Strepsiade a emprunté pour payer ses folles dépenses. Il le conduira chez Socrate, où on apprend l’art des discours trompeurs : Phidippide éconduira les créanciers. Le bonhomme fait part de ce projet à son fils, qui refuse d’obéir. Strepsiade, alors, se rend lui-même chez Socrate et lui demande de l’instruire. Le reste de la pièce est une exposition burlesque des doctrines que l’opinion populaire prêtait aux sophistes. Les nuées qui forment le chœur personnifient les billevesées nuageuses et extravagantes qui faisaient, pour la foule, le fonds de l’enseignement sophistique. Les Guêpes, représentées en 422, dédommagèrent, semble-t-il, Aristophane de son insuccès. Il y tournait en ridicule l’universelle manie de juger qu’entretenait chez les Athéniens l’appât des trois oboles, ce besoin de chicane qui leur faisait rechercher comme un précieux avantage les fonctions de juge, cette vie passée au milieu des sollicitations importunes des demandeurs, des plaidoiries bavardes des défendeurs, des lenteurs inévitables d’une procédure savante et compliquée. On sait le parti que Racine a tiré des Guêpes dans sa comédie des Plaideurs. Le début de la pièce et le procès du chien Citron sont une imitation directe d’Aristophane. En 421, aux Dionysiens urbaines, nous voyons le poète aborder dans la Paix un sujet tout différent. À ce moment, on était las de la guerre qui, depuis dix ans, épuisait à la fois Athènes et Sparte. Le moment paraissait bien choisi pour faire entendre aux Athéniens des conseils pacifiques. Aristophane met en scène un vigneron de l’Attique, Trygée, qui a résolu d’aller trouver Jupiter pour savoir de lui ce qu’est devenue la Paix. Après bien des aventures, il finit par la découvrir dans une caverne où depuis longtemps la Guerre la tient captive. La pièce se termine par la peinture comique du désespoir des armuriers, partisans de la guerre,