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ARISTOTE
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conservées. — Quels sont, parmi les ouvrages que nous possédons, ceux qui doivent être écartés comme inauthentiques ? La question ne peut, dans bien des cas, être résolue avec précision et certitude. Voici les résultats auxquels arrive Eduard Zeller, dans sa Philosophie der Griechen, t. III, 3e édition. Est, soit inadmissible, soit très douteuse l’authenticité des ouvrages suivants : De Xenophane, Zenone et Gorgia ; De animalium motu ; De plantis ; De coloribus ; De audibilibus ; De mirabilibus auditis ; Physiognomonica ; Mechanica problemata ; De indivisibilibus lineis ; De mundo ; De respiratione ; De virtutibus et vitiis ; Œconomica ; Rhetorica ad Alexandrum. Les Moralia Eudemea et les Moralia magna sont des remaniements de la Morale à Nicomaque. Les fragments de lettres que nous possédons sont très mêlés d’additions et d’altérations. — Les écrits laissés par Aristote peuvent vraisemblablement être rangés dans les trois catégories suivantes : 1o Les livres d’enseignement et de science proprement dite : c’étaient les résumés et traités dont il se servait pour ses cours. Il ne les publia pas, mais les communiqua seulement à ses élèves. 2o Les écrits publiés : ceux-ci étaient destinés au grand public. Ils étaient écrits, nous dit-on, avec abondance et avec charme. Une partie avait la forme de dialogues. On a souvent, d’après des expressions empruntées à Aristote lui-même, donné aux écrits non publiés la dénomination d’acroamatiques ou acroatiques, et aux écrits publiés la dénomination d’exotériques. Il est certain que ces expressions répondent à une distinction capitale dans la philosophie d’Aristote. Il y a, selon lui, deux modes d’enseignement, proportionnés aux deux degrés de la connaissance. Ce qui est connaissable comme nécessaire et absolument certain est affaire de démonstration proprement dite ; ce qui n’est connaissable que comme vraisemblable est affaire de dialectique. Dans ses cours, Aristote enseignait la science achevée : il démontrait ; l’élève n’avait d’autre rôle que celui d’auditeur. Mais, en dehors de ces cours, Aristote dirigeait des entretiens dialectiques où l’on raisonnait d’après les vraisemblances, d’après des considérations plus ou moins extérieures à l’objet en question, et où étaient admis, non seulement les élèves, mais aussi les gens du dehors. Telle est la valeur des mots acroamatique et exotérique selon la pensée d’Aristote. Lui-même ne les applique pas à ses ouvrages, mais ils s’y appliquent assez bien. 3o À ces deux catégories il faut en ajouter une troisième, savoir : des notes destinées à l’usage personnel d’Aristote. On peut appeler ces derniers écrits hypomnématiques. Enfin, Aristote avait laissé des discours, des lettres et des poésies. De ces trois sortes d’écrits nous ne possédons que les premiers. Des seconds et des troisièmes Il ne nous reste que des fragments. Parmi les écrits perdus, les plus importants sont : dans la première catégorie : le Traité des plantes, l’Anatomie, les Théorèmes astrologiques ; dans la seconde : les Dialogues et l’Histoire de la rhétorique ; dans la troisième : des extraits de quelques ouvrages de Platon et des écrits sur les pythagoriciens et sur d’autres philosophes. C’est sans doute dans cette troisième catégorie qu’il faut ranger les Institutions (πολιτείαι), où se trouvaient des renseignements de toute sorte sur 158 cités helléniques et barbares, recueil perdu, dont nous possédons beaucoup de citations fort intéressantes. — On peut classer de la manière suivante les écrits scientifiques proprement dits, ou écrits non publiés, que nous possédons, et qui représentent, d’une manière complète quant à l’essentiel, l’œuvre philosophique d’Aristote : 1o Écrits logiques, réunis à l’époque byzantine seulement sous le nom d’ὄργανον : Κατηγορίαι (catégories), en parties altérées et augmentées ; περὶ ἑρμενείας (du discours ou des propositions). Cet ouvrage paraît être l’œuvre d’un péripatéticien du IIIe siècle avant J.-C. ; Ἀναλυτικὰ πρότερα (premiers analytiques), traitant du syllogisme ; ἀναλυτικὰ ὕστερα (derniers analytiques), traitant de la démonstration ; τοπικά (topiques), traitant de la dialectique ou raisonnement en matière vraisemblable. Le 9e livre de cet ouvrage est d’ordinaire donné pour un ouvrage spécial sous le titre : περὶ σοριστικῶν ἐλέγχων (des raisonnements sophistiques). — 2o Écrits de philosophie naturelle : φυσικὴ ἀκρόασις (physique), en huit livres, parmi lesquels le 7e, quoique rédigé d’après des notes aristotéliciennes, ne paraît pas être d’Aristote ; περὶ γενέσεως καί φθοπᾶς (de la génération et de la destruction) ; περὶ οὐρανοῦ (du ciel) ; μετεωρολογικά (météorologie) ; περὶ ψυχῆς (de l’âme), et divers opuscules qui s’y rattachent, appelés : parva naturalia ; περὶ τὰ ζῶα ἱστοπίαι (histoire des animaux), en dix livres, ouvrage très altéré, dont le 10e livre est inauthentique ; περὶ ζώων μορίων (les parties des animaux) ; περὶ πορείας ζώων (des organes moteurs des animaux) ; περὶ ζώων γενέσεως (de la génération des animaux), ouvrage gravement altéré. — 3o Écrits dits métaphysiques, traitant de ce qu’Aristote appelle la philosophie première πρώτη φιλοσοφία : L’ouvrage appelé métaphysique, en quatorze livres, est une collection faite vraisemblablement peu de temps après la mort d’Aristote, et comprenant tout ce qui se trouvait dans ses papiers de relatif à la philosophie première. Ces écrits doivent leur nom actuel (τὰ μετὰ τὰ φυσικὰ) à leur position après la physique, dans l’édition d’Andronicus. Ce qui en fait le fond, ce sont les livres I, III, IV, VI à IX, X (numéros de l’édition de Berlin). Le livre II et le livre XI à partir du chap. VIII, 1065 à 26, sont inauthentiques. — 4o Ecrits relatifs aux sciences pratiques : ἠθικὰ Νικομάχεια (morale adressée à Nicomaque) ; πολιτικά (politique), ouvrage inachevé. Selon Ed. Zeller, les livres VII et VIII de la Politique, doivent vraisemblablement être intercalés entre les livres III et IV ; τεχνὴ ῥητορική (rhétorique) ; περὶ ποιητικῆς (poétique). — La question de chronologie n’a, relativement aux ouvrages didactiques, qu’une médiocre importance. Tous ces ouvrages, en effet, ont été composés dans les douze dernières années de la vie du philosophe (335-322) : ils renvoient les uns aux autres, et nous offrent dans leur ensemble le système achevé, sans aucune marque de progrès. Autant qu’on en peut juger par les très faibles indications que l’on peut tirer des témoignages historiques et de l’examen des ouvrages en eux-mêmes, Aristote a composé d’abord les écrits logiques (excepté les notes d’après lesquelles a été rédigé le περὶ ἑρμενείας, lesquelles paraissent postérieures au περὶ ψυχῆς). Puis ont été composés les écrits de philosophie naturelle ; puis les ouvrages physiologiques et psychologiques, puis les ouvrages relatifs aux sciences pratiques ; enfin, vraisemblablement, et en tout cas postérieurement à la physique, la collection dite métaphysique. Aristote paraît donc être allé de l’abstrait au concret, et, dans le domaine du concret, de l’être changeant à l’être immuable.

III. L’ensemble de l’œuvre d’Aristote. — L’universalité, tel est bien, ainsi que l’indiquent déjà les titres mêmes des ouvrages, le premier caractère de l’œuvre d’Aristote. Théorie et pratique, métaphysique et science d’observation, érudition et spéculation, la philosophie d’Aristote embrasse tout. Elle est, ou elle veut être, le savoir, dans sa totalité. Plus nette que chez Platon, plus générale que chez Anaxagore et Démocrite se dégage chez Aristote l’idée de la science, considérée comme le plus haut objet de l’activité. Ce n’est pas une curiosité futile, c’est l’ambition de pénétrer jusqu’à l’essence et à la cause des choses. Tout ce qui est, tout sans exception, même ce qui paraît vil et insignifiant, provoque en ce sens les recherches du philosophe. Dans toutes les productions de la nature, et jusque dans les plus humbles en apparence, il sait qu’il trouvera de l’intelligible et du divin. C’est ainsi qu’il aborda tous les objets accessibles à l’intelligence humaine ; et, pourvu de toutes les connaissances positives que l’on pouvait alors acquérir, aussi pénétrant dans ses intuitions que rigoureux dans ses raisonnements, il créa ou constitua la plupart des sciences entre lesquelles devait, par la suite, se partager le génie humain.