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SATURNE

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traditions et les vieux rites qui se rattachaient à son culte. On a quelquefois affirmé que l’assimilation du Saturne latin au Kronos grec s’expliquait difficilement. Cette assimilation paraîtra naturelle, si l’on veut bien se rappeler que pour les Grecs, Kronos n’était pas uniquement le dieu farouche de la Théogonie, le fils d’Ouranos, qui mutile son père et le détrône pour être ensuite détrôné par son propre fils Zeus. Les Grecs attribuaient aussi à Kronos un caractère agricole. Dans quelques cités helléniques, le mois de la moisson portait le nom de xpoviwv ; à Athènes, on célébrait une fête de la moisson appelée -/.po’v.a ; le culte populaire voyait dans Kronos le dieu de la maturité, de la moisson, de l’abondance. Lorsque les Romains voulurent introduire dans leur propre religion les mythes grecs, ils assimilèrent leur Saturne au Kronos agricole des Hellènes, mais le nom même de Kronos entraîna avec lui quelques-unes des légendes de la Théogonie, et il en résulta une tradition assez complexe que voici. Lorsque Saturne eut été chassé de l’Olympe par son fils Jupiter, il quitta la Grèce, vint en Italie, remonta le Tibre en bateau et aborda sur la rive droite du fleuve, à l’endroit ou Rome devait plus tard s’élever. Là il fut accueilli par un roi du pays, Janus, qui occupait les hauteurs du Janicule. Saturne enseigna à son hôte l’agriculture. Janus l’associa à sa royauté, et lui donna, pour s’y établir, la colline située sur la rive droite du Tibre, en face du Janicule, le Capitole. Telle est la raison pour laquelle le Capitule s’appelait primitivement le mont de Saturne, Saturnins mons. En même temps que l’agriculture, Saturne apprit aux habitants du Latium l’art de la navigation et celui d’imprimer des figures ou des symboles sur les morceaux de métal employés comme monnaie. Son règne fut l’âge d’or du Latium, que célébrèrent plus tard les poètes du siècle d’Auguste, Ovide, Tibulle, puis Sénèque, Martial, Juvénal. Enfin, il arriva que Saturne disparut subitement ; Janus lui fit rendre les honneurs divins, donna à toute la région sur laquelle il régnait le nom de Saturnia, éleva un autel en l’honneur du dieu et fonda la fête des Saturnales. Telle fut la légende qui se constitua peu à peu ; il n’est pas difficile d’y reconnaître ce mélange de traditions latines et des mythes grecs qui caractérise la plupart des légendes de la mythologie romaine.

A l’époque historique, le culte de Saturne n’était pas un des cultes principaux de la cité romaine. Le dieu n’avait dans toute la ville qu’un seul temple, qu’il partageait d’ailleurs avec Ops : c’était ïœdes Saturni, situé au pied duCapitole, à l’extrémité N.-O. du Forum. Le trésor public de Rome, œrarium publicum, y était déposé ; il ne pouvait être mieux placé, disait-on, que dans le sanctuaire du dieu, sous le règne duquel le Latium avait connu l’âge d’or, époque d’abondance, de paix, et de justice parfaites. Les sacrifices en l’honneur de Saturne étaient accomplis capite aperto , la tête découverte, selon le rite grec, opposé au rite proprement, romain qui exigeait que les prêtres eussent, pendant les cérémonies, la tête couverte ou voilée. On ne connaît point l’origine ni la raison de cette particularité. Nous n’avons point de renseignements sur les prêtres du dieu. Quant aux Saturnales (V. ce mot), qui se célébraient en décembre, c’était bien moins une cérémonie religieuse qu’une occasion de réjouissances pour les petites gens, pour les affranchis, pour les esclaves. Hors de Rome, on ne trouve aucune trace du culte de Saturne dans le Latium. Dans le reste de l’Italie, on connaît des Cultures Saturni à Venafrum (G. I. L., X, 4854), et l’on sait que L. Munatius Plancus construisit un temple du dieu à Formies (id., ibid., 6087). En outre, le culte de Saturne semble avoir joué un rôle particulier dans la haute vallée de l’Adige, autour de Vérone, de Trente (Tridêntum), et chez la peuplade des Anauni, sur le versant méridional des Alpes rhétiques (C. I. L., V.2382, 3291, 3292, 3916, 4013, 5000, 5021-5024, 5056,5068, 5068 a ). Il est probable que Saturne ne fit que remplacer ici un dieu local. Dans l’Empire romain, il est tout un groupe de provinces, pour lesquelles Saturne fut, pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne, la divinité populaire par excellence ; c’est l’Afrique du Nord (Province Proconsulaire, Numidie, Maurétanie). Le nombre des inscriptions, des stèles votives, des sanctuaires consacrés au Saturne africain est déjà considérable ; de nouvelles découvertes l’augmentent sans cesse. Sous le nom de Saturne, les Africains soumis à la domination romaine n’adoraient ni le Kronos grec ni le Saturnus proprement latin, mais bien l’antique dieu carthaginois, Baal, devenu le seigneur Saturne, dominus Saturnus. Le Saturne africain fut adoré surtout par les petites gens des villes et des campagnes, par ceux des sujets de Rome qu’atteignit le moins la civilisation romaine et qui cherchèrent le moins à imiter leurs maîtres. Les sanctuaires du dieu gardèrent en partie l’aspect des sanctuaires orientaux ; beaucoup d’entre eux consistèrent uniquement en enclos sacrés, au centre desquels s’élevait, en plein air, l’autel des sacrifices. L’un d’eux, découvert au sommet du Rou-Korneïn, qui domine le golfe de Carthage, était un véritable haut-lieu, tout à fait analogue à ceux qui existaient en Syrie et en Palestine. En Afrique, à l’époque romaine, Saturne avait conservé le caractère monothéiste, ou plutôt panthéiste, du Baal phénicien ; il n’avait emprunté à la mythologie gréco-romaine que son nom, les traits sous lesquels on le représentait, traits d’un vieillard barbu et voilé, et son principal attribut, la faucille et le couteau sacré appelé harpe. L’un des sanctuaires les plus curieux du Saturne africain est celui de Dougga : là, sous les ruines d’un temple construit à l’époque de Septime Sévère et décoré d’une triple cella, on a retrouvé les vestiges certains d’un sanctuaire plus ancien, renfermant des traces de rites puniques. Le culte de Saturne ne disparut en Afrique que devant les progrès du christianisme. J. Toutain.

IL Astronomie. — La plus grosse planète de notre système après Jupiter, Saturne en est la plus intéressante par ses singularités. De tout temps elle a été connue, car, bien que moins éclatante que Vénus, que Jupiter, que Mars et même que Mercure, elle brille encore comme une étoile de première grandeur, et il nous en a été conservé une observation qui remonte à l’an 228 avant notre ère. Elle a marqué, du reste, jusqu’à la découverte d’Uranus, c.-à-d. jusqu’à la fin du siècle dernier, la limite extrême du monde solaire. Cette circonstance, jointe à la lenteur de son mouvement et à sa teinte terne et plombée, l’avaient fait tenir par les anciens et, plus tard, par les astrologues du moyen âge, en piètre considération [ : c’était une divinité détrônée, un roi en exil, dont l’influence était particulièrement néfaste, et, parmi les jours de la semaine, le dernier, le samedi, lui était consacré, parmi les métaux, le plus vil, le plomb (V. ci-dessous § Alchimie}. On trouvera dans le tableau d’ensemble que nous avons donné à l’art. Planète, t. XXVI, p. 1037, les principaux éléments astronomiques de Saturne. La durée de sa révolution sidérale autour du Soleil est de 29 ans 5 mois 16 jours 5 heures, et son moyen mouvement diurne de de 2’ 0",4547. Tous les ans, il passe en opposition, c.à-d. derrière la Terre par rapport au Soleil, avec un retard de treize jours sur l’année précédente, et on peut alors l’observer pendant six mois environ. Son orbite fait avec le plan de l’écliptique un angle de 2° 29’ 40" et présente une excentricité de 0,0560713, sa distance périhélie au Soleil étant égale à 9,0046 fois celle de la Terre au même astre ou à 1.330 millions de kil., sa distance aphélie à 10,it730 fois cette même distance ou à 1.490 millions de kil. Son périhélie se trouve, d’ailleurs, vers l’étoile rj de la constellation des Gémeaux, à 91° du point de l’équinoxe du printemps, son aphélie entre les étoiles S et X du Sagittaire, à 271°. Son diamètre apparent varie de 15" à 20" suivant sa distance à la Terre, c.-à-d. suivant l’époque de l’observation ; son diamètre réel est de 118.600 kil. à l’équateur, soit 9,3 fois celui de la Terre, avec un aplatissement polaire de ^f^, qui surpasse celui de toutes