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TASSO

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velle croisade. Torquato qui, tout enfant, avait vu au couvent de Cava de Tirreni la tombe du pape Urbain et à qui on avait dû, à cette occasion, conter l’histoire de la première croisade, commença à méditer un poème sur ce sujet. Il en rédigea aussitôt une partie qui a été conservée et qui contient la matière des trois premiers chants de la Jérusalem. Mais voyant que l’œuvre serait longue et difficile, comme il était impatient de devenir célèbre, il se mit à traiter un sujet chevaleresque plus simple, le Henaud. Il continua ce poème à Padoue, où son père l’avait envoyé en nov. 1560, pour qu’il y étudiât le droit à l’Université, le recommandant au célèbre lettré Sperone Speroni. Torquato ne suivit les cours de droit que pendant un an, son père lui ayant permis de s’inscrire à ceux de philosophie et d’éloquence. Encouragé par ses amis, il continua et acheva son Renaud, qui fut publié à Venise en 4562, et valut de grands éloges au poète, qui n’avait encore que dix-huit ans. Bernardo, après être resté un an au service du cardinal Uouis d’Esté, passa aux gages du duc de Mantoue, Guillaume de Gonzague, auprès duquel il resta jusqu’à sa mort. Pour sa troisième année d’études, Torquato se rendit à Bologne ou il fréquenta des académies littéraires privées, puis pendant les vacances il alla auprès de son père à Mantoue. Il était de nouveau à Bologne pour sa quatrième année d’études, quand, en janv. 1564, il fut accusé d’être l’auteur de certaines satires contre ses compagnons et un de ses professeurs, et dut quitter la ville. Sur l’invitation du jeune prince Scipion de Gonzague, il se rendit à Padoue, où il fut élu membre de l’Académie des Eterei (éthérés) avec le nom de Pentito (repenti), et il reprit à l’Université ses études interrompues. 11 lut aux Eterei différentes poésies, dont les unes lui avaient été inspirées par un premier amour pour Lucrezia Bendidio, jeune fille de noble famille ferraraise, et dont les autres étaient composées pour Laura Peperara, dont il s’était épris à Mantoue pendant les vacances de 1564. Ses études terminées, pendant l’été de 1565, il sut que le cardinal Louis d’Esté était disposé à le prendre à son service, grâce à l’entremise du comte Fulvio Rangone, et en octobre il se rendait à Ferrare, où, n’ayant aucun emploi déterminé, il eut tout loisir pour travailler au poème de la Jérusalem qu’il avait repris. Reçu à la cour du duc Alphonse II, il y fut bientôt fort recherché à cause de sa belle prestance juvénile, de la noblesse de ses manières et de ses talents poétiques. En sept. 1569, il se rendit en hâte à Ostiglia pour y recevoir le dernier soupir de son père qui y était gouverneur. En oct. 1570, le cardinal Louis se rendant en France, le Tasse le suivit avec quelques autres personnages. Il arriva à Paris le 10 févr. 1571 et, congédié par le cardinal qui manquait d’argent, il en repartit le 19 mars. Pendant ce court séjour, il avait fait la connaissance de Ronsard dont il parla plus tard dans son dialogue du Cattaneo (1585). Le 15 avr 1571, le Tasse était de retour à Ferrare, où il demeura quelques jours, puis il partit pour Rome, d’où il revint par Pesaro et par Urbin, où était la princesse Lucrèce d’Esté, mariée depuis un an au prince François-Marie. Il revint avec elle en septembre à Ferrare : là il demanda à faire partie de la suite du duc, et en janv. 1572, un salaire lui fut alloué sans qu’il eût de charge déterminée. En janv. 1573, il suivit le duc à Rome, et à son retour il composa en quelques mois son Amintas qu’il fit représenter au printemps. L’année suivante, à l’époque du carnaval il alla à Pesaro ; au mois de juillet, il accompagna le duc à Venise, à l’occasion du passage de Henri III qui revenait de Pologne pour aller prendre possession du trône de France. Il continuait à travailler à la Jérusalem qu’il termina en avr. 1575. Il la lut dans le courant de l’été au duc et à la princesse Lucrèce. Au mois de mars de la même année, il s’était rendu à Vicence et à Padoue pour demander conseil à ses amis au sujet du poème, et il avait prié le grand érudit Pinelli de l’examiner. En juin, il était aussi allé à Bologne pour y consulter l’inquisiteur au sujet de certaines inquiétudes religieuses. Peu de temps après, en sept. 1575, il se rendit à Home à l’occasion du Jubilé. Il y soumit son poème à Scipion de Gonzague, à Flaminio de’ Nobili, à monsignor Silvio Antoniano, à Pier Angelis Bargeo, à Sperone Speroni. Il repartit de Rome à la fin de l’année, s’arrêta quelques jours à Florence pour y consulter aussi le fameux lettré Vincenzo Borghini ; au milieu de janv. 1576, il était de nouveau à Ferrare.

La revision de son poème fut une tâche longue et laborieuse. Antoniano voulait que le Tasse en enlevât les épisodes d’amour et en fit un poème sacré. Ce supplice dura toute l’année 1576. Il apprit alors que quelqu’un qui avait copié son poème l’imprimait pour son propre compte. Il fallut l’aide du duc pour arrêter la chose. Cependant les courtisans commençaient à devenir jaloux du Tasse, d’un caractère d’ailleurs assez irritable. 11 alla en avr. 1576 pour les fêtes de Pâques à Modène. Il en revint en mai et tomba gravement malade. Il était guéri quand le 7 sept., en plein jour, il fut traîtreusement assailli sur la place publique par Ercole Fucci, accompagné de son frère Maddalô, tous les deux attachés à la cour. Le Tasse, quelque temps auparavant, avait répondu par un soufflet à un démenti que lui donnait Ercole Fucci. Dans cette bagarre, le poète fut frappé assez violemment d’un coup de bâton à la tète. Le coupable s’enfuit et échappa aux recherches que le duc avait ordonnées contre lui. Le Tasse, indigné, retourna à Modène ; il fit la connaissance de la belle et célèbre poétesse Tarquinia Molza et il composa des vers en son honneur. Vers la fin de janv. 1577, il revint à Ferrare et de là se rendit à Comacchio, où était la cour. Il était déjà atteint de mélancolie, de manie religieuse et de manie de la persécution ; il voyait des ennemis partout et craignait aussi d’être tombé en quelque péché d’hérésie. En juin 1577, il voulut être encore une fois examiné par l’inquisiteur de Ferrare qui le renvoya absous. Une telle manie était alors dangereuse à Ferrare, ou s’étaient répandues les doctrines calvinistes : le duc redoutait que ses scrupules ne parvinssent au tribunal suprême de Rome et ne lui aliénassent l’amitié du pape dont il avait grand besoin. L’absolution que lui donna l’inquisiteur ne calma pas les inquiétudes du Tasse, qui craignait qu’on ’ne voulut par pitié le laisser dans l’erreur. Le soir du 17 juin, tandis qu’il confiait ses tourments à la princesse Lucrèce, s’imaginant qu’un domestique qui passait était venu l’épier, il lui donna un coup de couteau. Leduc le fit alors enfermer dans une petite chambre du château et lui fit donner des soins. Peu après il l’emmena dans sa belle villa de Belriguardo, pensant que les distractions de la campagne lui seraient salutaires, mais ï. dut presque aussitôt le renvoyer à Ferrare, où il le confia aux moines du couvent franciscain. Il y demeura quelque temps, sans cesse préoccupé de l’invalidité de la sentence rendue par l’inquisiteur et se croyant empoisonné par les médicaments qu’on lui donnait. Il croyait être tombé en disgrâce auprès du duc. Dans la nuit du 25 juil. 1577, il brisa une porte et s’enfuit de Ferrare. Vêtu en paysan, il se dirigea à travers champs vers Bologne. Des cavaliers que l’on envoya ne purent le retrouver. Il arriva à Sorrente, où demeurait sa sœur Cornélie, et se présenta à elle en habit de berger (lettre du 14 nov. 1587), en lui annonçant, à ce que raconte Manso, la mort de Torquato, pour voir quel effet produirait sur elle cette nouvelle. Accueilli avec bonté par sa sœur, il resta quelque temps auprès d’elle, mais, désirant finir son poème, il prit le parti d’aller à Rome (fin janv. 1578). Il y trouva d’abord un refuge chez le cardinal Louis d’Esté, puis auprès de monsignor Giulio Masetti, ambassadeur de Ferrare ; puis il fit savoir qu’il était disposé à retourner d’où il était parti et à remettre de bon gré sa vie entre les mains du duc. Le duc répondit qu’il le reprendrait volontiers, à condition qu’il se laissât soigner et se confiât à son amitié Le Tasse accepta et, vers le milieu d’avr. 1578, il rentrait à Fer-