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SOUFFRANCE — SOUFISME

une rivière débordée, qui empêche le vassal de venir, ou il craint des propos outragera ou l’inimitié capitale du seigneur. L’effet de la souffrance est d’empêcher la saisie, ce que l’on exprime par les mots : « souffrance vaut foi ». La saisie ne peut avoir lieu que quand les causes de la souffrance ont cessé. E. Chamfeaux.

Bibl. : Bonnassieus, Des souffrances féodales au moyen âge. — Biche, Essai sur l’anc. coût, de Paris, N. R. H., 1884, p. 52. — Demzart, Coll., V Souffrance.— Ferrière, Dict., v" Souffrance. — Glasson, Hist. du dr. et inst. de ta France, t. IV, p. 303. — Guyot, Hépert.. ° Souffrance.

— Rousseau de Lacombe, Jur., v° Souffrance.^- Viollet, Hist.dudr.civ. />., pp. 650 et 051. — Warnkœnig, Fr. st. und H. G., 11. p>. U78. 355, 350.

S0UFFR1GNAC. Coin, du dép. de la Charente, arr. d’Angoulême, cant. de Montbron ; 288 hab.

SOUFISME. Doctrine mystique qui prit naissance à coté de l’Islam et réussit à s’y implanter au point de faire échec à la philosophie orthodoxe. L’étymologie de ce nom est dillicile à donner. D’après les uns, il viendrait du mot soûf (laine, vêtement de laine) parce que les premiers adeptes de cette doctrine se revêtaient de laine ; nous pouvons donner comme preuve à l’appui de cette étymologie ce l’ait que les Persans appellent les derviches soùfis : / echmineh pôch (revêtus de laine). On peut aussi faire venir ce nom de l’arabe saf’ou (pureté) ou du grec aoyix (sagesse). Enfin, quelques auteurs arabes appellent Soùfa une tribu arabe qui se sépara du monde à l’époque antéislamique pour se vouer à l’entretien du temple de La Mecque. Ou appelle soùfi un homme qui professe les principes mystiques du tasawwoûf.

L’origine du mysticisme musulman est une question des plus controversées. Pour quiconque connaît le rituel détaillé et le froid dogmatisme du Coran et de la tradition, il semble impossible de concilier le dogme islamique avec une idée mystique quelconque. En vain on a cherché à retrouver un exemple de tradition mystique dans cet aphorisme attribué à Mahomet : « c’est quand il prie que le fidèle est le plus près de Dieu», l’islamisme maintient nettement la séparation entre la divinité et le monde, entre le créateur et la chose créée ; les pratiques religieuses qu’il ordonne et les actions morales qu’il enseigne ne servent qu’à mériter la bienveillance de la divinité ; tout au plus, le croyant sera-t-il admis à la contempler face à face. D’où vient donc cette idée mystique qui, pendant plusieurs siècles, a occupé tous les esprits et absorbé toutes les forces intellectuelles du monde musulman ? On peut lui donner deux origines différentes : l’idée de l’émanation et du retour en la divine essence lui vient, croyons-nous, du néo-platonisme ; la contemplation et l’anéantissement lui viennent aussi, par l’intermédiaire de la Perse, de l’école védantique, mais celle-ci a apporté avec elle le panthéisme qui ne s’est fait jour qu’assez tard dans le soufisme et presque uniquement chez les Persans. Aussi peut-on dire qu’à l’origine le soufisme doit ses principes à l’école d’Alexandrie.

Les Arabes, qui ont traduit et étudié la plus grande partie d’Aristote, n’ont connu Platon que de nom ; mais ils ont subi son influence et ont reçu ses doctrines, fortement imprégnées du mysticisme de la Kabbale, par les Alexandrins et surtout par Philon. Anéantir la raison, ou du moins la subordonner au sentiment, attaquer la liberté pour réduire la vie tout entière à l’amour, et plus encore, à l’aveugle abandon de soi-même, tel est le principe du soufisme comme de toute philosophie mystique. Ce prin cipe est exposé clairement et sincèrement par Ghazàlî dans son TraiW de la rénovation des sciences religieuses. Mais avant d’examiner sa doctrine, il nous faut déterminer exactement le rôle de Ghazâli dans la philosophie arabe. Ghazâli n’est pas un soùfi, mais un savant théologien, dont le renom est universel dans l’Islam, au moment ou la lutte entre le mysticisme et l’orthodoxie arrive à l’état aigu. Dans un but d’humanité et de concorde, il veut établir un système où la théologie dogmatique soit combinée habilement avec la théosophie de l’école nouvelle, et, après avoir consacré sa vie scientifique à cette tâche, il arrive à conclure en faveur des soùfis. La raison, chez lui, fonde d’abord les vérités essentielles, donne ensuite la preuve de la vérité de la révélation et enfin établit la morale en forçant l’homme à connaître la loi obligatoire décrétée avec un caractère absolu. Mais s’il est nécessaire de rejeter toute croyance en les sens, il est tout aussi difficile d’être assuré de l’exactitude des conclusions de la raison, car il peut y avoir une faculté plus haute que la raison, qui, si nous la possédions, nous montrerait l’incertitude de la raison comme la raison montre l’incertitude des sens. Mais alors, comment arriver à connaître la vérité, sinon en devenant la vérité elle-même. « Je fus forcé, dit Ghazâli, de retourner à l’admission des notions intellectuelles comme les bases de toute certitude, non par un raisonnement systématique et une accumulation de preuves, mais par un jet de lumière que Dieu envoya dans mon âme ! Car quiconque s’imagine que la vérité ne peut être rendue évidente que par des preuves, établit d’étroites limites à la vaste compassion du créateur. » Les deux méthodes sont en effet mises en présence : celle des spéculatifs qui recherchent la science par la réflexion, par voie de démonstration, sans briser leurs attaches mondaines, parce qu’ils ne se sentent pas le courage d’engager cette lutte contre les « armées de Satan» et qu’ils ont peur de s’appesantir de longues années sur une idée vaine, alors que la voie scientifique est la plus lente, mais la plus sûre ; celle des soùfis qui ont brisé tous les liens qui les rattachent au monde, se sont retirés seuls dans un lieu écarté, indifférents à l’existence comme à l’absence de toute chose, pour s’occuper uniquement de pratiques religieuses. Et cependant ils ne méditent pas les commentaires, ils n’écoutent pas les traditions, « ils ne divisent pas leur pensée dans la lecture du Coran », car le Coran deviendrait une idole, comme le chapelet, comme le tapis à prière, un excès de dévotion équivalent à l’idolâtrie. Lorsque le soùfi s’est ainsi efforcé de ne rien laisser venir à son esprit d’autre que Dieu, que sa pensée, après avoir écarté toute pensée déterminée, en se repliant dans ses profondeurs, est arrivée à un tel oubli d’elle-même que la conscience semble évanouie, il est ravi en extase et reçoit du Créateur l’illusion que ni la raison ni l’amour n’avaient pu lui donner. Voilà bien l’extase telle que l’avaient conçue les Alexandrins. Mais bientôt commence dans le mysticisme une évolution dont l’école d’Alexandrie nous avait donné l’exemple. Sous l’influence de la philosophie védantique, venue de l’Inde par l’intermédiaire des innombrables sectes religieuses dont le plateau iranien était le foyer, le panthéisme se fait jour dans le soufisme.

La doctrine des soùfis a été exposée dans un grand nombre de traités, notamment dans celui de Sohrawerdi. Dieu seul existe ; il est en toute chose, et toute chose est en lui. Tous les êtres sont une émanation de lui sans en être réellement distincts. Le inonde existe de toute éternité ; la matière n’est qu’une illusion des sens. Le soufisme est la vraie philosophie de l’Islam qui est la meilleure des religions, mais lesreligions n’ontqu’une importance relative et ne servent que pour nous guider vers la réalité. Dieu est l’auteur des actes du genre humain ; c’est lui qui fixe la volonté de l’homme, qui n’est pas libre dans ses actions. L’homme possède, comme tous les animaux, un esprit original, un esprit animal ou vivant et un esprit instinctif, mais il a, en plus, l’esprit de l’humanité, soufflé par Dieu et du même caractère que l’élément originel ou constructif. L’esprit concomitant comprend l’élément originel et l’esprit de l’humanité ; il s’étend sur le triple domaine : animal, végétal et minéral. L’âme, qui existait antérieurement au corps, est confinée dans celui-ci comme dans une cage ; la mort est donc l’objet des désirs du soùfi, qui retournera par là au sein de la divinité. Cette métempsycose permet à l’âme qui n’a pas rempli sa destinée ici-bas d’être purifiée et de mériter la réunion