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EN LA MAISON DU MÉNÉTRIER, ETC.

à la danse, au public, et surtout aux engagements de dix mille francs. Je ne danse plus, et je suis forcé de faire danser les autres ; j’étais dieu, et je suis devenu ménétrier ; je racle des contredanses pour un orchestre de barrière, à trente francs par mois. Heureux encore si cette ressource me restait ; mais l’infâme directeur du Bal d’Idalie vient de faire banqueroute, il s’est enfui en emportant la caisse ! Deux mois d’appointements me sont enlevés ; qu’allons-nous devenir ? »

Ainsi parlait le père Pastourel en se laissant tomber dans son vieux fauteuil ; d’un geste désespéré, il lança son violon sur son lit, et l’instrument rendit un sourd murmure comme pour se plaindre. Pastourel croisa ses bras contre sa poitrine, ramena sur ses genoux les vastes pans de sa redingote, et darda contre le ciel un regard menaçant. Après quelques minutes de cette pantomime antique, il parcourut sa chambre à grands pas ; puis il s’arrêta en disant : « Je casserais bien une croûte.

« Mais, hélas ! je suis sûr qu’il n’y a rien à la maison ; cherche dans tes armoires, malheureux, tu n’y trouveras que le vide ; contemple ton foyer, misérable, il ne contient que des cendres. Et que vont dire Fanny et Irma quand elles rentreront ? J’avais promis de les régaler aujourd’hui d’une tourte aux boulettes et d’un flan au café ; ô espérance folle ! ô bizarrerie de la vie ! ô vengeance du sort ! la tourte court sur la route de la Belgique, et le flan est tombé dans le gouffre du déficit. Après tout, elles feront comme moi, puisque, malgré mes conseils, elles veulent devenir artistes. Pourquoi n’ont-elles pas suivi l’exemple de leur frère, de ce bon Joseph, qui fera, j’en suis sûr, un