Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
183
LE LOUP LES MANGE.

Mais quelle fut sa surprise, lorsque le soir, en faisant son dénombrement, il s’aperçut que pas une ne manquait à l’appel ! Robin, le fermier, le complimenta de ce qu’il avait enfin appris à faire bonne garde.

Le lendemain, les choses allèrent de même ; Guillot résolut de ne s’occuper que de danses, de tendres propos et de chansons, sans même s’inquiéter si le loup venait ou non rendre visite à ses brebis. Cette nouvelle manière de garder son troupeau lui réussit également ; mais il comprit bientôt pourquoi le loup était devenu tout à coup si humain. Un jour qu’il jouait de la musette au milieu des autres bergers, s’étant retourné par hasard, il aperçut derrière un arbre voisin le loup qui se tenait les pattes croisées, la tête inclinée, dans une attitude d’extase et de dilettantisme, prêtant l’oreille aux jolis airs que jouait le jeune berger. La musette de Guillot le transportait dans le troisième ciel ; pouvait-il songer à croquer ses brebis ?

Guillot rentrait chaque soir à la ferme couronné de fleurs et de rubans que lui donnaient les nymphes du Lignon ; on l’eût pris pour un dieu, tant il était vif, aimable, brillant. Lui, naguère pauvre et triste compteur de brebis, gardait maintenant son troupeau comme Apollon avait autrefois gardé celui d’Admète, avec des vers et des chansons.

Robin le fermier avait une fille très-jeune et très-belle nommé Gillette, qui devint éperdument éprise de Guillot, et finit par déclarer à son père qu’elle n’aurait jamais que lui pour époux. Robin, qui avait depuis longtemps renoncé à donner des coups de bâton à Guillot et qui savait qu’il est impossible de contrarier les inclinations des filles du Lignon, n’essaya pas, suivant l’habitude des pères de s’op-