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ÉLÈVE LE CORBEAU,

— Touche là ; oublie le passé, deviens honnête, et tu n’auras pas à te plaindre de moi.

Robert fit donner des habits à Snag, le présenta à Lucy, qui ne put retenir un mouvement d’effroi en voyant sa figure olivâtre et l’éclair rapide de ses yeux sauvages, et malgré les observations des vieux fermiers il l’installa dans l’intérieur des bâtiments. Puis, quand tout fut rentré dans l’ordre, Robert se retira dans sa chambre.

Le lendemain, Snag se mêla aux travailleurs ; c’était le plus leste et le plus adroit des garçons de la ferme ; nul ne le distançait à la course, aucun ne savait mieux dompter un cheval, diriger la balle d’un mousquet, franchir un torrent à la nage, grimper à la cime d’un arbre. Robert ne tarda pas à le prendre en affection ; son adresse le charmait, son intelligence l’étonnait. Bientôt ce fut à Snag qu’il confia le soin de panser son cheval favori, de soigner ses chiens de chasse, d’entretenir ses armes ; Snag l’accompagnait quand il allait battre les collines à la poursuite des coqs de bruyère, pêcher le saumon dans la rivière, attendre les canards à l’affût sur le bord des étangs. Snag ne craignait ni le vent, ni la pluie, ni la neige ; les rayons du soleil d’été glissaient sur son front bronzé, et les brouillards de décembre ne l’empêchaient pas d’exposer sa poitrine aux brises froides qui viennent de l’Océan.

Malgré l’amitié croissante de Robert pour Snag, Lucy n’avait aucune sympathie pour le jeune captif. Elle ne pouvait s’empêcher de baisser les yeux quand elle rencontrait les siens, ardents comme une flamme sous leurs épais sourcils. Souvent le regard hardi du bohémien faisait monter à ses joues les couleurs empourprées de la fleur du