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LÀ OÙ SONT LES POUSSINS

rière les ruines de l’Alhambra, après la bénédiction. Les deux sœurs n’ont pas voulu se séparer ; nous ferons partie carrée.

On n’attend pas de nous la description d’un rendez-vous espagnol à l’Alhambra ; nous renvoyons le lecteur aux nombreux romans et aux non moins nombreuses nouvelles publiées sur l’Espagne. Qu’on se figure une nuit étoilée, des arbres agités par la brise, des soupirs, des serments, des mots entrecoupés, des baisers… Je me trompe, au moment où les deux couples allaient sceller par un baiser, suivant l’usage antique et solennel, l’inviolable promesse d’un amour éternel, une vieille femme sortit tout à coup des ruines, et s’assit sans façon sur une pierre à côté des amoureux.

— C’est sans doute une manière de demander l’aumône, pensa Ernest, et il jeta quelques réaux dans le tablier de la vieille.

Celle-ci remercia, mais sans bouger de place.

— Elle ne part pas ! murmura Ernest ; allons ailleurs reprendre cet entretien.

Ils se levèrent, la vieille en fit autant ; ils s’éloignèrent, mais elle les suivit en les accablant d’actions de grâces. Ce fut un déluge de « Dieu vous protège et vous accorde d’heureux jours ! » le tout accompagné de révérences à n’en plus finir. L’heure de rentrer étant arrivée, la vieille ne quitta les amoureux qu’aux portes de la ville.

— Maudits soient les mendiants et leur reconnaissance ! s’écrièrent les deux jeunes gens, quand ils eurent quitté, bien malgré eux, leurs maîtresses ; cette femme nous a fait perdre le bénéfice de notre rendez-vous.