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humanité subit cette compression ; l’une après l’autre, les générations ont dû se laisser pétrir le cerveau, réciter comme articles de foi les divagations de ceux qui s’étaient faits leurs maîtres. Comment l’esprit critique a-t-il pu résister à cette compression formidable ? C’est que, après tout, s’il est très facile d’obtenir une soumission apparente des individus, il est impossible d’atteindre leur pensée intime ; et qu’il n’appartient même pas à l’individu lui-même de changer sa pensée.

On peut le forcer à agir différemment qu’il ne pense ; on peut le plier à agir de lui-même — combien nombreux en sont les exemples ! — en contradiction avec toutes ses façons de raisonner. Il ne manquera jamais d’arguments plus ou moins subtils pour se prouver qu’il avait toutes sortes de raisons d’agir ainsi. Mais le besoin même de se justifier implique mécontentement de soi-même. Et voilà pourquoi, de temps à autre, s’élèvent quelques cris de protestation contre l’erreur, contre le mensonge.

Mais, si le caractère intellectuel de l’être humain a pu, en se réfugiant en son for intérieur, résister à la compression et à l’éteignoir, il n’en a pas été de même de son caractère moral.

Au lieu de la franchise, de l’indépendance de caractère qui doivent être naturelles à l’homme, puisqu’on les trouve très développées chez les peuples que n’a pas contaminés notre prétendue civilisation, — il est vrai que nous les accusons alors de grossièreté et d’insociabilité, — partout le respect des convenances que l’on méprise au dedans de soi, mais que l’on n’ose secouer, sous crainte de crever de faim, — ce qui est certes, à considérer — mais aussi parce que cela vous mettrait en froid avec tel et tel de votre entourage, de vos relations ; de crainte, le plus souvent, de paraître original ! comme si ce n’était pas là le fond même du développement de notre individualité.

Aussi, au lieu de tendre à s’élever, au lieu d’essayer de sortir de l’abaissement général, l’on n’a qu’un but ; ne pas trop détonner au milieu de l’effacement ambiant.