Page:Grave - Le Mouvement libertaire sous la IIIe République.djvu/143

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Je me doutais bien que ce revirement était dû à la visite de Saint-Auban, mais ce ne fut que beaucoup plus tard que j’eus connaissance de son article.

Pendant ce temps, les attentats s’étaient succédé dans Paris, Des explosions avaient eu lieu dans des hôtels meublés, lors de la visite du commissaire de police, appelé par une lettre de quelqu’un prétendant vouloir se suicider dans ledit hôtel. Puis, l’attentat du Terminus, avec l’arrestation d’Émile Henry et, enfin, la bombe de la Madeleine où périt Pauwels. L’exécution de Vaillant ensuite.

Saint-Auban m’avait passé les numéros du Figaro relatant le procès, ainsi que les déclarations de Vaillant à l’instruction. Je ne voudrais pas médire de quelqu’un qui sacrifia sa vie à ses idées ; mais je ne pus m’empêcher de trouver, à la lecture, que ses déclarations concernant ses relations avec Paul Reclus venaient là comme des cheveux sur la soupe. J’ignorais, certes, le degré d’intimité de ces relations, très peu étroites, je pense. En se vantant au juge d’instruction de ses relations avec les Reclus, Vaillant n’avait-il pas obéi à un sentiment de vanité ? Ce n’était pas anodin, puisque, pour Paul Reclus, cela lui valut d’être prévenu au procès des Trente, avec vingt ans de bagne en perspective.

Vaillant, du reste, n’était pas le premier venu : il avait été une des victimes de la réclame sans scrupules faite au nom de l’Argentine pour y attirer les émigrants, promettant terres, outillages, semences et bestiaux. Une fois arrivés, on les envoyait à des centaines de kilomètres de tout pays civilisés, sans moyen de communication, pour les y laisser périr de faim et de privations.

L’ami Sadier m’a raconté l’odyssée de Vaillant. Il habitait l’Argentine lorsque ce dernier y arriva.

C’était après la révolution qui renversa le président Juarez Colman, dans une période de spéculations effrénées.

Vaillant, avec un groupe d’émigrants, arrivait plein de projets et d’enthousiasme. Il rêvait la vie libre dans le travail des champs, libéré de l’emprise du capitalisme !