Page:Grave - Le Mouvement libertaire sous la IIIe République.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils avaient senti que les peuples ne pouvaient prendre cœur à la défense que s’ils entrevoyaient qu’elle pût leur apporter la certitude que c’était la dernière. Les gouvernements allaient au-devant des vœux des peuples.

Oui, nous étions dans une situation révolutionnaire, mais personne ne s’en aperçut. Aucun de nous n’en eut conscience. Meneurs socialistes et syndicalistes se laissèrent attacher au char de l’État pour y figurer le peuple, sans même penser à exiger — que dis-je exiger ? — sans même penser à demander des garanties pour ceux qu’ils étaient censés représenter. Ce fut comme fonctionnaires de l’État qu’ils se laissèrent embrigader et traversèrent la crise sans s’apercevoir du travail révolutionnaire qui aurait pu s’accomplir. Ils apportèrent leur activité au gouvernement, ne s’apercevant pas que c’était une brèche qui s’ouvrait, par où aurait pu passer l’initiative ouvrière avec eux.

Chez les anarchistes, la situation ne fut pas davantage comprise. Notre petit nombre et notre isolement nous vouaient d’avance à l’incapacité de faire quoi que ce soit par nous-mêmes. Mais eussions-nous été en mesure d’entreprendre quelque chose, nous en aurions été empêchés par le sectarisme de ceux qui s’entêtaient à prêcher le refus de combattre, comme si l’abstention de quelques milliers d’individus pouvait changer quoi que ce soit à la situation.

Et cependant, avec les idées d’initiative que nous pensions avoir semées, nous avions espéré que les foules n’attendraient plus le mot d’ordre des chefs pour agir, qu’elles sauraient se mettre à l’œuvre d’elles-mêmes là où ce serait nécessaire, sachant tirer de chaque situation la solution à y appliquer. Et voilà qu’une situation révolutionnaire se présentait sans que les foules, sans que les meneurs révolutionnaires s’en soient douté.

Même les anarchistes, s’ils ne pouvaient rien faire seuls, auraient pu agir sur les groupes d’à côté. Mais, inconscients de la situation, eux qui se vantaient de leurs qualités d’initiative, ils préférèrent s’enfermer dans leur dogmatisme, au lieu de chercher à réaliser ce qui pouvait être tiré de la situation qui se présentait.

C’est que, si nous avions beaucoup parlé de révolution, nous ne nous étions jamais rendu compte de ce que c’est qu’une révolution, ni des formes sous lesquelles elle peut