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EN RACONTANT

uns coupaient du bois, les autres faisaient fondre la neige ; bref, on créait le plus d’occupations possibles pour tâcher d’oublier, mais, hélas ! à ces heures de travail succédèrent bientôt les heures d’épuisement. Les malheureux naufragés avaient au moins une perspective de six mois à passer sur l’île d’Anticosti, puisqu’il leur fallait y attendre l’ouverture de la navigation. Or, les navires qui passaient alors de Québec en France n’emportaient que pour deux mois de vivres. Au moment où elle avait touché, la Renommée avait déjà onze jours de mer ; une partie des provisions étaient avariée par le naufrage, et en s’astreignant à la plus stricte économie, c’est-à-dire en ne distribuant à chacun qu’une maigre ration par vingt-quatre heures, on pouvait — tous calculs faits — prolonger sa vie de quarante jours ! À cette incontestable certitude était venu se joindre l’hiver, arrivé dans toute sa rigueur. La glace rendait le navire inaccessible ; six pieds de neige couvraient le sol, et pour comble de désespoir les fièvres venaient de faire leur apparition et exerçaient de faciles ravages sur ces natures émaciées.

« Il fallut donc une décision suprême.

« Un poste français passait alors l’hiver à Mingan, où il s’occupait à faire la chasse au loup-marin. Pour s’y rendre, il fallait d’abord faire quarante lieues de grève avant d’atteindre la pointe nord--