Page:Groulx - Louis Riel et les événements de la Rivière-Rouge en 1869-1870, 1944.djvu/22

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plus suspecte, le frapper de cinq ans d’exil. Entre-temps des bandits masqués, alléchés par les $5,000 promis pour sa capture, ne lui laissent nul repos. On assaille la maison de sa mère, on y commet des outrages qui, selon l’expression d’Archibald, « poussent les Métis français presque jusqu’au délire ». Traqué comme un fauve, accablé de privations, de souffrances physiques et morales, l’infortuné proscrit — le mot est de Mgr Taché — prend la figure douloureuse d’un « martyr ». Et, dans cette tempête de passions qui ne sauront jamais s’apaiser, l’on peut déjà pressentir, pour dans moins de vingt-cinq ans, une catastrophe tragique.

« Que comptez-vous faire ? » lui demandait son évêque, au moment où, pour éviter d’être capturé, il s’enfuyait devant les soldats de Wolseley. — « Monter à cheval et aller à la grâce de Dieu », répondait le fugitif. Mais il ajoutait ces nobles paroles : « Peu importe ce qui arrivera maintenant : les droits des Métis, de leur religion et de leur langue sont assurés par l’Acte du Manitoba… Ma mission est finie ».

Tous les Métis français et la majorité des Anglais, nous a dit le lieutenant-gouverneur Archibald, regardaient les chefs de l’insurrection manitobaine comme « des patriotes et des héros ». Faut-il justifier ces grands mots ? Sans l’énergique intervention du gouvernement provisoire, Ottawa eût-il conçu et rédigé l’Acte du Manitoba aussi libéralement qu’il l’a fait ? Eût-il consenti aux Métis, à la langue française, à l’école confessionnelle, les droits et privilèges qui devaient faire, de la minorité manitobaine, la mieux protégée juridiquement de toute la Puissance ? Bien des doutes sont permis. On se rappelle, en effet, avec inquiétude, la répugnance de la majorité anglo-protestante d’alors à la reconnaissance du bilinguisme provincial et du principe de la liberté scolaire. On se souvient de la tempétueuse opposition d’un homme, Père de la Confédération, comme Charles Tupper, à l’insertion de ce principe dans la législation de sa province. On prend note des événements qui, en cette même année 1869, se déroulaient au Nouveau-Brunswick où le parlement de la province tente d’abroger