Page:Groulx - Louis Riel et les événements de la Rivière-Rouge en 1869-1870, 1944.djvu/6

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bordure de l’immensité occidentale. Régime patriarcal de la Compagnie de la Baie d’Hudson, paysannerie de mœurs primitives, solitude des prairies, horizons restés vierges depuis des millénaires, tout menaçait de se transformer pour ouvrir un empire à l’activité trépidante de l’homme moderne. Par ses bouleversements prévus, par ses incertitudes formidables, l’avenir prenait l’aspect d’une Révolution. Un monde prenait fin aux marches de l’Ouest. Quel esprit apporterait le nouveau venu ? Quel respect du passé, de l’ancien occupant, jusqu’alors seul roi des prairies ? Que lui laisserait-on de la terre des aïeux, et de ce qui lui était plus cher que sa terre : ses traditions nationales et religieuses ? Le jeune Métis de Saint-Vital, toute la suite de son histoire l’allait démontrer, possédait une âme à larges antennes, une de ces âmes de chefs, incarnation de leur race, dont le lourd privilège est de prévoir, de penser, de sentir, et surtout de souffrir pour les leurs. Sa première réaction fut de s’insurger intérieurement contre un marché politique qui semblait impliquer, dans la vente et l’achat d’un territoire, la vente et l’achat d’une population. Sa petite nation métisse, une presse la représente alors, en termes gracieux, comme un « troupeau de buffles ». Ces « buffles » ont le mauvais goût de se dire qu’ils n’ont pas été conquis par les armes, et qu’on ne troque pas un peuple comme on troque une marchandise. Où donc le gouvernement de Londres et celui d’Assiniboia auraient-ils pris le droit de les livrer, et celui d’Ottawa le droit de les acheter sans condition, sans même les consulter ? Ainsi raisonne-t-on, à la Rivière-Rouge, au printemps de 1869… Le soulèvement des Métis pourra s’appuyer sur d’autres motifs, en particulier sur la menace de spoliation non imaginaire qui planait sur leurs propriétés. Il n’en est pas où ils aient mis plus de détermination. Et voilà, pour un troupeau de bisons, une attitude qui ressemble singulièrement à une attitude de grands civilisés.

La première réaction de Riel et des siens en entraîna logiquement une autre : l’établissement d’un pouvoir pour l’efficace protection de leurs droits. Riel assuma le grand risque. Il l’assuma par les voies légitimes. Il s’en rapporta