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premier volume 1878-1915

la foi, sans plus, et religion toute simple, ascèse toute naturelle, mais d’une prise toute-puissante sur les âmes normales où la grâce de Dieu a fait éclore la passion de grandeur. Comme avant 1906, je m’emploie de nouveau à rigoureusement axer la vie de ces jeunes chrétiens sur l’accomplissement intégral du devoir collégial : observance parfaite, absolue, du silence commandé ; soumission amoureuse à tous les articles du règlement, étude, récréation, etc. Le tout pour sa formation personnelle, pour le dégagement de sa liberté et de sa personnalité, pour s’affranchir des bandelettes des caprices et des instincts ; le tout encore et surtout pour former en soi l’homme surnaturel, pour la joie d’accomplir la volonté de Dieu, détaillée et pourtant réelle, en ces minuties réglementaires ; le tout aussi, en vue de gagner, par ces sacrifices, transformés par la grâce en grandes choses, l’âme de ses camarades ; le tout enfin, et l’on peut et l’on doit aller jusque-là, pour agir en la vie de l’Église.

Ajouterai-je que la « Cause », c’est encore autre chose. Ces jeunes gens, leurs maîtres, esprits réalistes, se sont bien gardés de les déraciner ; ils se sont toujours souvenus que la foi ne détruit pas la nature, et que le chrétien n’a pas besoin de se construire sur l’anéantissement de l’homme. Sous prétexte de former des chrétiens d’esprit ou de foi universelle, ils n’ont donc pas entrepris de lancer leurs collégiens dans je ne sais quel absurde angélisme. Non, cette génération de 1912 se tient solidement les deux pieds sur la terre. Elle sait où elle doit vivre sa vie et sa foi. La « Cause », c’est encore pour elle, l’avenir, le salut de son pays, de sa culture, de son ethnie. Cette terre, cette culture, elle sait de quelle espèce d’hommes elles ont besoin. Et c’est ainsi qu’en leur formation de chrétiens qui ne veulent pas cesser d’être des hommes, ces collégiens feront entrer toute leur foi, mais aussi tout l’humain : impulsions spirituelles mais aussi inspirations terrestres et charnelles. Ah ! si les éducateurs voulaient et osaient !…

Grands, beaucoup de ces jeunes hommes et même de ces adolescents le devinrent. Quelques-uns de leurs mots, de leurs décisions m’ont ému parfois jusqu’au plus profond de moi-même. J’ai dû, certains jours, réprimer des ardeurs trop vives pour la pénitence, empêcher tel grand jeune homme de se donner la discipline pour sauver tel camarade en train de mal tourner.