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deuxième volume 1915-1920

ser pour l’avenir à de graves reproches des paroissiens trompés ; ne pas la lire, c’est commettre envers le chef du diocèse, un acte de désobéissance publique. Plus que personne, l’abbé Perrier vivra ce drame. Il était homme de conscience et il vénérait son Archevêque d’une vénération qui allait jusqu’à l’amitié. Il le prouva pendant la cruelle maladie qui affligea l’Archevêque en ses dernières années. De tous côtés, on téléphone au presbytère : « Faut-il lire ou ne pas lire ? » Le curé choisit à la fin le parti du silence. « Plutôt que de bredouiller la lettre comme plusieurs curés se proposent de le faire, je crois plus sage et plus honnête de me taire », dira-t-il. Et la lettre épiscopale ne fut point lue dans la chaire du Saint-Enfant-Jésus. Fallait-il faire autre chose ? Il se peut et j’incline à le croire. Mais il faut avoir vécu ces terribles heures pour comprendre en quelle perplexité se pouvaient débattre les esprits les plus graves et les mieux intentionnés.

Pour ma part, si j’ose évoquer mon modeste cas, je me suis toujours efforcé, ce me semble, de rester un prêtre discipliné. Je n’ai jamais eu le goût de discuter les directives de mes chefs. J’avoue cependant n’avoir jamais compris, ni dans la guerre de 1914, ni dans celle de 1939, la ferveur belliqueuse des chefs religieux, ces bulletins par trop ressemblants à ceux des chefs d’armée, et ces dénonciations véhémentes de l’ennemi. Derrière ces appels à la défense de la liberté, de la civilisation et de la chrétienté, était-il si difficile de soupçonner ce qui se cachait de propagande frauduleuse et de cyniques cupidités ? Que les hommes d’Église des diverses nations et des divers camps n’observent-ils, en pareilles occasions, la conduite si digne, si élevée des chefs suprêmes de la Sainte Église, rôle d’arbitres et de souverains pacificateurs ? Le temps des papes guerriers et à cheval est heureusement révolu. Quand donc les évêques, successeurs des apôtres, imitant leur chef, deviendront-ils uniquement, en temps de guerre, des hommes de prière et des prédicateurs de la paix du Christ ?

J’avais besoin de rappeler cet épisode de ma vie. Sortant d’un petit monde fermé et aussi terre à terre que Valleyfield, j’allais apprendre ce que certains milieux peuvent fournir d’excitant pour forcer un homme à donner davantage pleine mesure.