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deuxième volume 1915-1920

n’ai pas encore complètement rompu avec la littérature ; il m’arrive même d’écrire quelques pages de critique sur les Silhouettes canadiennes de Laure Conan. En sa livraison de septembre, la revue publie : « Un geste d’Action française », discours que j’ai prononcé le 13 de ce mois, au Monument National de Montréal, pour la célébration du 75e anniversaire du discours français de La Fontaine au parlement de Kingston. Le discours est publié avec notation des divers mouvements de l’auditoire. Je crois bien que, ce soir-là, devant un public émotif comme on l’est en ce temps de la première Grande Guerre, je remporte mon premier succès oratoire. Encore dans ce premier volume de la revue, je retrace deux articles d’allure historique : l’un intitulé « Ville-Marie », évocation quelque peu poétique de la fondation des Associés de Notre-Dame ; l’autre qui a pour titre : « Ce cinquantenaire ». Il s’agit du cinquantenaire de la Confédération. Sans doute portais-je déjà en ma tête ce qui va devenir le sujet de mon prochain cours d’histoire du Canada à l’Université. L’article a déjà l’accent du sévère pessimisme dont sera tout imprégné mon jugement sur l’œuvre de 1867. En voici quelques lignes ; elles traduisent en même temps, les inquiétudes des dures années où je les ai écrites :

Est-il encore possible vraiment de réparer l’erreur d’un demi-siècle et de parer à la catastrophe prochaine ? Il faudrait attendre des hommes d’État canadiens qu’ils rompent sans retard avec une politique néfaste et qu’ils ramènent notre pays dans l’orbite de ses destinées naturelles. Pour notre part, nous aurions à reconquérir le respect de l’autre race ; par notre courage et notre dignité, nous aurions à restaurer au Canada les notions de droit et de justice. Mais hélas ! ne paraissons-nous pas irrémédiablement emportés vers je ne sais quel destin fatal ?… avec notre fierté déprimée, après la trahison de plus en plus manifeste de nos hautes classes dirigeantes, obligés de nous replier sur l’unique réserve de notre jeunesse et de nos classes pauvres, race décapitée, acculée à tout l’inconnu de demain et presque à la menace d’un Sonderbund, nous sentons trembler