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mes mémoires

d’encre. Le premier, sans rien allumer, je descends voir, sur la pointe des pieds. L’abbé Lucien, qui me croit toujours en ma chambre, descend à son tour. Depuis une minute, le nez collé à une fenêtre, je fouille l’obscurité. Sur la véranda une masse noire me paraît bouger. Tout à coup, une poigne serrée me saisit les bras et j’entends une voix tremblante qui m’apostrophe : « Que faites-vous ici, mon ami ? »… Émoi, stupeur, dans toutes les chambres de la maison. Le malfaiteur est découvert, appréhendé. Hélas, le malfaiteur, bientôt reconnu par le cher abbé Pineault, n’est autre que le maître de céans. Et le maraudeur n’est autre, lui, qu’un paisible porc-épic, fort occupé à gruger la véranda où la veille une sorbetière en opération a largement répandu de l’eau salée. Et les ta-ta-ta ? Rien d’autre que les battements de la queue de l’animal sur le bois à chaque coup de dents. N’importe, ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de se faire prendre pour un voleur et de se faire arrêter dans son propre chez-soi. Dans la chronique de L’Abitation, l’incident du porc-épic, grossi, enjolivé, engraissé, devint légendaire.