Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
mes mémoires

des Huguenots de la Nouvelle-France au temps de Richelieu ». J’y note une documentation plutôt mince, quelques gaucheries d’expression ; mais je suis frappé de la vigueur de dialectique dont fait preuve le jeune étudiant ; j’admire le parti qu’il a su tirer de si peu de documents. Un coup de fil et je prends avec lui rendez-vous.

Quelques jours plus tard, je vois arriver à ma chambre — j’habite alors au presbytère de l’abbé Perrier — un jeune homme plutôt timide, stature à peine au-dessus de la moyenne, teint bronzé, yeux noirs très vifs, l’air fort sympathique. J’entame la conversation. Il parle d’une voix lente, posée. Tout me révèle un esprit réfléchi, en profondeur. Je lui parle de son étude historique ; je lui en vante les qualités ; j’attire son attention sur les incorrections de forme. À ma question :

— Avez-vous jamais étudié quelque ouvrage de stylistique ? Quand vous vous corrigez, le faites-vous au nom de critères dont vous êtes sûr ?

Il me répond :

— Point du tout. Je me livre à un certain instinct de la langue et de ses exigences. Des critères, je n’en possède aucun. Je me corrige sans être assuré que ma deuxième rédaction n’est pas pire que la première.

Je procède avec lui comme j’ai fait avec Harry Bernard, avec d’autres. Je tâche de le persuader qu’au principe de l’art littéraire, comme de tout art, une technique existe et s’impose, technique qui, en ce cas précis, s’appelle : connaissance de la langue, de ses exigences de langue analytique, de ses virtualités, de ses formes d’art. Ici on voudra bien m’entendre et j’insiste : je ne crois pas et je n’ai jamais cru à l’Art d’écrire enseigné en vingt leçons. Ce n’est pas affaire de ficelles, de procédés. Et je ne crois pas que le métier remplace le talent. Mais je crois que le métier peut aider le talent et que là où il y a le talent, du métier, l’art peut naître. J’indique donc à mon jeune visiteur quelques volumes qui lui livreront l’indispensable en cette matière : L’Art des vers de Dorchain, L’Art de la prose de Lanson, Les Récréations grammaticales et littéraires de Paul Stapfer, Le Travail du style enseigné par les corrections manuscrites des grands écrivains d’An-