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quatrième volume 1920-1928

rait, dans ma vie, de si profondes répercussions et que j’ai déjà rappelé[NdÉ 1]. Au printemps de 1915, j’écris de nouveau à M. Bourassa : je lui propose la fondation d’une grande revue qui compléterait l’œuvre du Devoir. L’idée lui paraît excellente ; mais avec raison, il estime plus opportun, avant toute chose, l’établissement solide du journal. Cette année-là j’arrive à Montréal. Et ce sont les cours d’histoire du Canada à l’Université. Publicité, réclame généreuses du Devoir. Mes cours ont le bonheur de plaire à Bourassa. Pendant ces premières années, je ne puis me trouver à l’une ou l’autre de ses conférences publiques qu’il ne m’accable de compliments à me donner envie de rentrer sous mon siège. Pour lui, je suis l’homme qui « possède véritablement le sens de l’histoire canadienne », le « premier et véritable historien du Canada » ; il loue mon courage, ma sagacité.

Au presbytère du Mile End

En 1917, je m’en vais loger au presbytère de l’abbé Perrier. J’y verrai Bourassa de près, dans l’intimité d’une maison pour lui presque familiale. C’est là surtout qu’il me sera donné de connaître l’homme. J’ai raconté ces souvenirs ailleurs. Aujourd’hui encore je ne retrouve rien à y retrancher : rien de l’admiration que le grand homme m’inspira, rien de l’émerveillement que nous apportait sa conversation. Ces rencontres fréquentes, ces contacts si proches n’ont pas le don de me désenchanter. Au contraire je ne fais que découvrir et admirer davantage la vaste culture de notre hôte, sa vivacité d’esprit, la noblesse de son caractère, sa délicate et farouche conscience. Chaque soirée, chaque causerie est pour nous un régal, un plaisir toujours renouvelé. Il arrive d’ordinaire pendant le souper. Nous le reconnaissons dès son passage dans le couloir, rien qu’à sa façon de se gourmer. Habitué de la maison, il monte de lui-même au fumoir, va prendre sa pipe, au revers d’une porte d’armoire, — pipe de plâtre qu’il préfère à toute autre, — la bourre de tabac — d’un tabac mélangé, préparé expressément pour lui par le curé qui connaît ses goûts et caprices de fumeur, — et il vient s’asseoir derrière

  1. Voir Mes Mémoires, I : 213-215.