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quatrième volume 1920-1928

experts » ; ils formeraient « la plus belle bibliothèque médicale » de Montréal. Période d’enchantement.

Nous ne retrouvons Lactance Papineau qu’en mai 1845. Il est alors âgé de vingt-trois ans et lancé tout de bon dans l’aventure de la vie. Le mariage ne le presse point. Il semble qu’il y voie un obstacle à ses aspirations du moment. Sur les jeunes filles de son entourage ou de sa condition, idéaliste impénitent, il professe d’ailleurs un scepticisme qui est plus que de l’indifférence. C’est à son père encore à Paris qu’il écrit (mai 1845) :

Le mariage tue une partie de cette ardeur juvénile et fixe le reste. Je ne me sens pas de vocation, parce que je ne trouve pas de jeunes filles dignes d’un dévouement et d’une estime comme les miens pourraient être. Et puis, parmi toutes, il n’y a qu’une ou deux jeunes filles riches. Mon indifférence et ma fierté ne les gagneront pas ; leurs prétentions sont illimitées.

On notera cet autre trait de mœurs dans la haute société canadienne : trait de mœurs d’hier et d’avant-hier, et, sans doute, d’aujourd’hui :

Les deux dernières demoiselles Debartzch [filles de Dominique Debartzch et de Josephte de St-Ours] épousent des étrangers sans le sou vaillant, après avoir refusé P. Lamothe, G. Cartier, L. Dessaulles. Les jeunes cavaliers aujourd’hui ont 30 ans. On exige d’eux, avant tout, de la fortune. Les mariages d’inclination sont aussi rares qu’en Europe.

Le fier Lactance ne veut rien devoir qu’à soi-même, qu’à son travail, qu’à sa percée vigoureuse dans l’opinion. D’ailleurs, il s’est déjà enfoncé de nouveau dans ses études et ses livres. Il écrit encore, dans la même lettre à son père :

Je méprise tout ce que nous offre notre petit pays. Et je ne serai réconcilié, que lorsque j’aurai une influence personnelle qui puisse me permettre de dédaigner toutes les petitesses. Je m’en console facilement, pour ma satisfaction personnelle, dans mes livres et dans le témoignage que je me rends à moi-même, à tort ou à raison, d’être capable de comprendre et de jouir de quelque chose de mieux. Mais une vie active et pratique me semble meilleure et plus naturelle, pourvu qu’on la mène et démène à sa guise et raisonnablement (Corr. IX : 157-158).