Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
32
mes mémoires

Que de fois l’on a reproché aux directeurs de nos établissements d’enseignement secondaire de confiner leurs élèves en des horizons étroits, de courber leur esprit sous l’obéissance quasi-servile et irraisonnée du règlement. Votre brochure prouvera du moins que ces théories n’ont pas cours dans toutes les institutions ; elle forcera peut-être les lecteurs à regarder autour d’eux et à découvrir toute une troupe d’éducateurs — dont vous êtes, cher Monsieur — ; éducateurs qui ne craignent point de porter les regards de leurs élèves par-delà les murs du collège ; éducateurs qui peinent à susciter en l’âme des jeunes des initiatives fécondes, pour faire d’eux, ainsi que vous le dites si bien, « de la substance d’homme ».

Je le revois donc, en 1920, tel qu’il m’apparut, jeune avocat dépassant à peine la trentaine, profil mince, teint bronzé, regard noir et droit, étincelant de finesse et de vie. Je n’avais pas oublié qu’il avait commencé sa vie par un acte de méritoire courage. On l’avait prié d’assumer la présidence de l’ACJC encore naissante. Un très haut personnage politique, nul autre que Wilfrid Laurier, s’était entremis. Le jeune Antonio, fit-on savoir à sa famille, compromettait son avenir. L’étudiant en droit passa outre. Il vint à l’Action française, comme il était allé à l’Association de la Jeunesse. Il fallait se compromettre ; il se compromit. Et il se compromit, sa correspondance du temps me le rappelle de façon éloquente, avec une générosité d’esprit, une chaleur, une noblesse d’âme qui, après trente ans, m’émeut encore.

Il nous apportait de précieuses qualités. Esprit fin, délié, cultivé, il prenait rang dans cette élite de jeunes chefs de file, rencontre d’esprits assez rare chez nous : Édouard Montpetit, Paul-Émile Lamarche, Athanase David, Georges Pelletier, Omer Héroux, Olivar Asselin, Armand La Vergne et quelques autres qui, tous alors, semblaient promis à la plus brillante et féconde carrière. Que n’avons-nous pas espéré de chacun de ceux-là ! Pour Asselin, Perrault, c’est « l’esprit latin » du groupe. Pour le bien juger, il fallait entendre Antonio Perrault dans une allocution de soirée, présentant ou remerciant un conférencier. Rien à la main, parlant d’abondance, il s’exprimait dans une langue impeccable, avec une