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mes mémoires

te page d’histoire — la place prise tout à coup par L’Appel de la Race dans les débats de l’opinion :

Aucun livre canadien n’a autant que ce roman éveillé l’attention du public. On le lit et le discute ; l’on défend ou l’on combat ses idées ; on se passionne pour ou contre ses théories. À ces enthousiasmes et à ces colères, on reconnaît qu’Alonié de Lestres a frappé juste. Seuls les ouvrages des maîtres ont cette fortune.

Dès le 23 septembre précédent, encore dans Le Devoir, Antonio Perrault avait publié du roman, une étude pénétrante. Il confessait l’effet profond qu’il en avait ressenti à la première lecture :

Mais c’est moins l’auteur que le livre que je veux aujourd’hui signaler. La forte émotion que me fit cette lecture me pousse à le faire connaître, à prier surtout nos jeunes hommes de se donner ce tonique intellectuel et moral.

Il est temps d’arrêter ces citations qui, à coup sûr, deviennent gênantes. Je n’ai voulu que faire revivre un moment l’atmosphère intellectuelle au Canada français et marquer, en même temps, l’effet produit par un livre dont, au surplus, on pourra penser ce que l’on voudra. Je suis moi-même entré dans la bataille. Tant qu’on s’en est tenu à la discussion strictement littéraire de l’ouvrage : était-ce ou n’était-ce pas un roman ? était-il bien ou mal écrit ? je suis resté à l’écart, fort amusé par ce croisement et ces cliquetis de fleurets. Mais vint l’abbé Roy qui entreprit de contester la justesse de mes jugements sur l’état d’esprit de l’enseignement collégial à l’époque où le jeune Jules de Lantagnac faisait ses études. Le collégien avait-il reçu l’éducation nationale qui l’aurait préservé de son anglomanie ? Prétendre que oui, c’était démolir une partie du roman, et surtout provoquer ma susceptibilité de jeune historien. De Nicolet, mon ami l’abbé Georges Courchesne me conseille « le silence… sur les outrances de l’article du Canada français… Notre ami a prouvé, en perdant sa sérénité habituelle…, qu’il cède, dans ses réserves, à l’impulsion d’une passion, à des hargnes de parti. N’allez pas vous mettre dans votre tort en montrant de la mauvaise humeur » (lettre du 12 décembre 1922). Pourtant et peut-être à tort, je me décide à croiser le fer tout en m’abritant pudiquement derrière le pseudonyme déjà très transparent de Jacques Brassier. Donc, en