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mes mémoires

frait déjà du cœur. La blessure s’élargit. En 1930 une hémorragie cérébrale le terrassait. Il prit le chemin de l’hôpital de Chatham. Il n’en devait plus sortir. Sa mort, je ne pouvais la laisser passer en silence. Je ne me rappelle plus quelles malencontreuses circonstances m’empêchèrent d’aller à ses funérailles. J’écrivis, pour Le Devoir du 2 février 1932, un article. Je donnai libre cours à de chers souvenirs, à ma gratitude, à mon chagrin devant la tombe de ce rare et grand ami jeté sur mon chemin par la Providence. Je l’insère ici :

L’abbé Alfred Émery
(par l’abbé Lionel Groulx)

À la rentrée de 1891, au Séminaire de Sainte-Thérèse, nous étions bien, dans la première division des Éléments, une trentaine de gamins sur lesquels tranchaient, par leur haute taille, leur menton duveté, trois sénateurs. Quel âge avaient, au juste, ces graves confrères ? Je me souviens que cette question piqua longtemps notre avide curiosité, d’autant qu’à l’imitation de certaines personnes du sexe, les trois sénateurs cachaient leur âge avec une pudibonde discrétion. De ces trois, l’un est devenu Mgr F.-X. Laurendeau, curé de Ford City, Ont. ; l’autre, l’abbé Onésime Boyer, curé d’Ellenburg, N. Y. ; le troisième fut l’abbé Alfred Émery, qui vient de mourir, curé de Saint-Joachim, comté d’Essex.

Émery, par sa taille d’homme fait, et par une sagesse précoce, volontiers prodigue de conseils, devint vite le papa de la classe. Ce confrère qui nous venait de Grande-Pointe, en la lointaine péninsule d’Essex, se préparait d’ailleurs au sacerdoce, et n’en faisait pas mystère. Il était le protégé d’un vénérable curé qui en a fait bien d’autres : M. l’abbé Pierre Langlois, de Sainte-Anne de Tecumseh. Entré si tard au collège et venu d’une région où les écoles françaises souffraient bien de quelques lacunes, les études furent pénibles au confrère Émery. Il y prit de formidables migraines qu’il devait garder toute sa vie. Une