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mes mémoires

— Viens avec moi te reposer chez ma sœur, à Sainte-Marie-de-Beauce.

Je ne suis pas fâché d’échapper aux bonimenteurs et aux fabricants de commentaires. J’accepte. À Sainte-Marie, j’entre dans un foyer familial des plus charmants. Après le dîner, on m’enferme dans une chambre dont on a bien tiré les rideaux. Je dors tout l’après-midi, comme un moine rentré du monde fourbu. Je ne reviens à Québec qu’assez tard dans la soirée. On me montre les manchettes flamboyantes des journaux. Émoi évident et considérable. On me fait part des potins. L’ « orage » a laissé derrière lui des échos. J’apprends que, dans la journée — ce trente juin, c’était la journée des jeunes — la jeunesse m’a longuement cherché. Elle avait sa manifestation au Monument des braves. Elle eût voulu m’y entraîner, m’arracher encore quelques consignes. On l’avait renvoyée de Caïphe à Pilate. Personne ne savait où me trouver. Le midi de ce même jour, il y avait banquet solennel au Frontenac pour tous les participants au Congrès. J’y étais naturellement invité. Grand embarras parmi quelques officiels. Le savantissime juge Albert Sévigny, magistrat d’occasion parce que politicien battu, s’était enquis :

— L’abbé Groulx sera-t-il là ? Si oui, point de juge Sévigny.

On m’a raconté que le noble juge ne se sentit pleinement rassuré que lorsque, de ses yeux, de ses propres yeux, il put constater ma place vide. Des bouts de conversation ici et là me révèlent qu’on a surtout retenu, de mon discours, les derniers mots : « la génération des vivants » opposée à « la génération des morts ». Par « génération des morts », j’entendais évidemment une génération de l’esprit plus qu’une génération d’âge. À ce qu’il semble, beaucoup ne l’entendent pas ainsi. Nombre de vieilles gens, et d’autres qui n’ont pas ce motif, tiennent à se coiffer de mon anathème. Moitié dépit et moitié moutonnerie, ce serait à qui se fût rangé dans la confrérie funèbre. Des hommes jeunes, et même fort jeunes, en arrivent à découvrir qu’ils sentent le cadavre. Sur cette première querelle, une autre se greffe. J’ai osé parler d’ « État français ». J’ai même osé m’écrier : « Notre État français, nous l’aurons… » Comme s’il fallait de perpétuels signes de notre infantilisme politique, on a vu, dans l’expression, une déclaration de séparatisme. Au banquet du Frontenac, un évêque pourtant