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La Famille Canadienne-Française

Cette loi et cette autorité, la famille canadienne n’en a jamais été dépourvue. Elle est aux antipodes de la famille moderne, famille envahie par les idées démocratiques, où les parents partagent avec tous les enfants le gouvernement de la maison et où l’autorité qui appartient à tous n’appartient à personne. Dans la famille de chez nous, il y a un chef, et ce chef est le chef naturel, le père, qui incarne, dirait Frédéric Le Play, « la seule autorité que Dieu ait instituée par le décalogue éternel ».

Ce chef de la vieille famille, quand il était digne de son rôle, quel ascendant moral que le sien ! Il apparaissait à son foyer, non seulement avec sa dignité de père, premier auteur ici-bas de la vie qu’il prétendait régir ; mais aussi avec son prestige d’austère tâcheron, du besogneux qui se réservait les plus rudes travaux, qui mettait sur la table le pain dont tous vivaient, et qui, à tous ses mérites, ajoutait jusqu’à celui de vivre chez lui. Parce qu’il n’imposait rien qu’il n’eût d’abord pratiqué, il était, dans la maison, le commandement, la loi vivante. S’il ne disait pas le premier mot c’est toujours lui qui disait le dernier. « Parole de mon père, parole de roi », disait Mgr Plessis. Quand la mère plus faible et plus douce n’obtenait pas l’obéissance, lui n’avait qu’à froncer le sourcil pour faire rentrer dans le devoir. L’on savait d’ailleurs que le froncement de sourcil pouvait aller jusqu’à la pétoche inclusivement. Et la pétoche n’était pas une menace vaine dans un siècle où Bossuet l’administrait lui-même et copieusement au royal dauphin.

Devant le père l’obéissance n’avait pas de limite d’âge. Et jusqu’à un demi siècle tout près, la coutume s’était conservée, conformément au