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PASSAGE DE L’HOMME

La Mère s’asseyait sur une marche, et attendait. L’Homme, sûrement reviendrait ce soir. Il reviendrait sur un bateau, oui, un bateau à voiles, tout fleuri et tout pavoisé, et il ferait des signes de son mouchoir, et Claire serait auprès de lui… Sûrement ce soir… Le soir tombait. La Mère s’en revenait chez nous. Sa déconvenue, elle l’avait oubliée déjà : vous savez ce que sont les vieilles gens. Et elle refaisait des projets pour le lendemain.

Ce dimanche-là j’étais assise tout auprès d’elle. Il faisait chaud, et pas un souffle, Le Fleuve était éblouissant. De lourds nuages montaient de l’est. On entendait comme des roulements de tonnerre ; ou bien le canon ? Depuis un mois, on disait que c’était la guerre. La vieille Zulma, levée la nuit, avait vu de grandes lueurs rouges emplir le ciel derrière la Basilique. « Même, disait-elle, j’ai entendu crier ».

La Mère dormait, sa tête sur mon épaule. « Tu m’éveilleras quand le bateau viendra… Et puis j’entendrai la sirène… Je la connais… » Elle se reprit : « Mais non, c’est un bateau à voiles ! Qu’est-ce que je disais ? qu’est-ce que je disais ? » Je tricotais ; j’écoutais respirer la Mère. Et voilà qu’elle poussa un cri, ouvrit les yeux, des yeux tout grands d’horreur, et son corps se brisa soudain, et s’en