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PASSAGE DE L’HOMME

sera devenu une chose de la maison. Oui, la vieille table, ou bien la huche, ou bien l’horloge ». Et plus j’y pense, plus je me rends compte, en effet, qu’il faisait tout pour devenir une chose. En attendant, tout lui réussissait, même les tâches les plus difficiles. Je le revois encore, les premiers jours, fendant du bois. C’était vers les deux heures et en octobre, dans le soleil. Il faisait bon. L’Homme s’était installé près de la barrière, pas très loin de la niche du chien. Il y avait là une bonne terre bien sèche. Et il était aux prises avec une grosse bûche toute pleine de nœuds, et qui ne voulait pas se laisser faire. Quand c’était comme ça, avec le Père, nous l’entendions jurer et gémir à grand bruit. Et la Mère sortait sur le seuil et regardait. Et elle criait : « Mais laisse-la donc, le Père ! Mais laisse-la donc ! Elle est trop dure ». « Trop dure ! » disait le Père, sans relever la tête. « Trop dure !… Eh ? tu n’as rien à faire, dans ta cuisine ? » Et il se remettait à ahaner durement, jusqu’à ce que la bûche volât en éclats. Alors il s’appuyait sur la cognée, et il regardait le ciel, longuement. Et il fallait qu’il appelât la Mère, pour lui faire voir, mais surtout pour avoir l’occasion de lui parler tendrement et de lui faire oublier les vilains mots de tout à l’heure. L’homme, lui — je l’obser-