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PASSAGE DE L’HOMME

demeurer ici, pour moi… » Elle ne termina point sa phrase, et ajouta, après avoir regardé l’Homme d’un long regard illuminé : « Ton contentement à toi, est-ce que ce n’est pas aussi le mien ? » La Mère parla : « Vous pensez bien que Claire préférerait… » Mais Claire l’interrompit soudain : « Mère, je n’ai rien à préférer, c’est à l’Homme à dire ce qu’il faut. » La Mère se tut. Dans le silence qui se fit alors, je compris que tout était décidé d’avance, que l’Homme, quelque chagrin qu’il en eût, devrait partir, qu’il allait dire : « Mère, nous recauserons de tout ça un peu plus tard », et c’est ce qu’il dit en effet. Et je compris encore, pour moi, pour mon usage, que la vie, ce n’est pas de se laisser porter par les choses, mais de suivre sa route à soi. Et comme j’étais en face de cette pensée-là, il m’en vint comme une autre aussi, et plus confuse, qui était à peine une pensée, mais que je sentais vraie déjà : oui, il faut suivre sa route à soi, mais il faut, en suivant sa route, savoir quand même se laisser porter… ne rien forcer… ne pas avoir le front têtu… regarder et fermer les yeux, oui, tour à tour… » C’était un commencement de pensée ; cela depuis, m’est devenu clair, beaucoup clair, et pourtant j’en parle aussi mal.