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LE SURVENANT

une brève étreinte, les mains, l’une après l’autre, disaient ce que souvent les lèvres n’osaient pas formuler. En leur langage naïf, les mains, plus éloquentes que les voix, parlaient d’accord, d’amitié éternelle ou bien d’indifférence.

Le musicien prenait plaisir à prolonger le cotillon. Il étirait l’accordéon en des sons alanguis. Mais au moment où les couples, formés selon leur sentiment, s’élançaient pour la valse finale, il repliait son instrument à une allure endiablée et obligeait les danseurs à retourner à la chaîne.

Le cotillon durait encore lorsqu’un enfant tout effarouché cria dans la porte :

— Venez vite voir deux hommes se battre à ras la grange. Y a une mare de sang à côté comme quand on fait boucherie !

— Mon doux Jésus !

Avant même de savoir ce qui en était, Madame Salvail, obsédée par l’idée qu’elle souffrait de pauvreté de sang, s’affala sur une chaise, prête à perdre connaissance.

— Je me sens faible. Je pense presquement que j’vas faire la toile.

Les autres femmes, renseignées sur la nature de son mal, aux trois quarts imaginaire, n’en firent pas de cas. Déjà échelonnées autour de la fenêtre, elles s’efforçaient de voir au dehors, mais elles réussirent