Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
179
LE SURVENANT

père Didace, au sujet des premiers Canadiens, parole qui avait dû passer de bouche en bouche non comme un message, mais simple vérité, il se perdit en réflexions : « Pour refaire sa vie et devenir son maître » : c’est ainsi que si peu de Français, par nature casaniers, sont venus s’établir au Canada, au début de la colonie, et que le métayage est impossible au pays. Celui qui décide de sortir complètement du milieu qui l’étouffe est toujours un aventurier. Il ne consentira pas à reprendre ailleurs le joug qu’il a secoué d’un coup sec. Le Français, une fois Canadien, préférerait exploiter un lot de la grandeur de la main qu’un domaine seigneurial dont il ne serait encore que le vassal et que de toujours devoir à quelqu’un foi, hommage et servitude.

À son insu, il venait de penser tout haut. Didace n’en fit rien voir. Rempli d’admiration et de respect pour une si savante façon de parler, il écouta afin d’en entendre davantage, mais le Survenant se tut. Didace pensa : « Il a tout pour lui. Il est pareil à moi : fort, travaillant, adroit de ses mains, capable à l’occasion de donner une raclée, et toujours curieux de connaître la raison de chaque chose. » Le vieux se mirait secrètement dans le Survenant jusqu’en ses défauts. Ah ! qu’il eût aimé retrouver en son fils Amable-Didace un tel prolongement de lui-même !