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LE SURVENANT

Amable intervint :

— Aïe, Survenant ! livre pas tes secrets ! Oublie pas une chose : on te garde, nous autres !

Venant éclata de rire :

— Tu me gardes, toi ? Toi…

Mais il s’arrêta brusquement. Debout contre le mur, d’une voix presque prophétique, il dit rêveusement :

— Ce qu’on donne, Amable, est jamais perdu. Ce qu’on donne à un, un autre nous le remet. Avec une autre sorte de paye. Et souvent au moment où on s’attend à rien. J’ai connu un matelot nègre qui jetait toujours à l’eau la première tranche de pain qu’il recevait sur le bateau. Il disait que, dans un naufrage, c’était grâce à un goéland s’il était pas mort de faim… Cast your bread… Ah ! neveurmagne !

Joinville Provençal pleurait à chaudes larmes, accoudé à une table :

— Maudit, que c’est beau ce que tu racontes là, Survenant ! Parle encore. Recommence ce que tu viens de dire. J’ai pas tout compris. Recommence. Le nègre… le goéland… la tranche de pain… là…

Après quelques tentatives futiles pour ramener Joinville, Amable abandonna les deux hommes à leurs effusions. Et avec les autres, il reprit le chemin du Chenal.