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LE SURVENANT

Et comme son fils ne disait rien, il renchérissait :

— Méfie-toi de lui : c’est un sauvage.

Joinville protesta :

— Il est pourtant blond en plein. Quoi c’est qui vous fait dire ça ?

— Rien qu’à son parler, ça se voit. Il parle tout bas, quand il se surveille pas. Puis il sourit jamais. Un sauvage sourit pas. Il rit ou ben il a la face comme une maison de pierre.

— J’ai pas remarqué.

— Tu l’as donc pas regardé comme il faut ? T’aurais vu qu’il a le regard d’un ingrat. À la place de Didace, je le garderais pas une journée de plus. Il a beau être blond…

Un soir, Angélina Desmarais se joignit à la compagnie. Un teint cireux et une allure efflanquée la faisaient ressembler à un cierge rangé dans la commode depuis des années. Sans cesse ses cheveux morts s’échappaient du peigne par longues mèches sur la nuque. Seuls ses yeux vifs et noirs, brillants comme deux étoiles, vivaient sous le front bombé.

Elle arriva, misérable et si confuse qu’elle chercha la clenche du mauvais côté de la porte. Amable, par esprit de taquinerie, lui dit :

— T’auras pas le garçon de la maison.

— Je tente pas dessus non plus : je fais rien que rapporter la canette de fil que j’ai empruntée à Phonsine.