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LE SURVENANT

dessus des corbeilles, à transplanter des pots en pleine terre les boutures ou les plants. Lobélies, soucis-de-vieux-garçons, bégonias, crêtes-de-coq, œillets-de-poète recevaient de ses mains les soins les plus tendres. Ses doigts nus et sensibles, à tout moment, volaient de l’une à l’autre, devinant les tendrons maladifs, les feuilles sans vie, pressant la terre autour, comme si elle eût reçu la mission de les faire grandir. Sources de joie, les fleurs lui étaient aussi motif de fierté et d’orgueil : à l’exposition régionale, elles lui valaient toujours quelques mentions honorables et plusieurs premiers prix. De plus, les grainages au détail rapportaient de l’argent.

Depuis qu’Angélina avait fait la connaissance du Survenant, elle ne restait plus assise, immobile, à la veillée ; elle errait d’une fenêtre à l’autre. Ou bien elle écoutait, le cœur serré, l’horloge égrener ses minutes dans le silence opaque. À intervalles réguliers, une goutte d’eau tombait de la pompe, et à la longue le toc toc monotone devenait plus affolant que le fracas du tonnerre. Parfois, David Desmarais, la pipe au bec, élevait la voix :

— Écoute donc, fille !

Il reconnaissait de loin la pétarade d’un yacht :

— Quiens ! Cournoyer revient de vendre à Sorel le poisson de ses pêches !

Angélina sursautait. Elle répondait machinalement :