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LE SURVENANT

firmament en est noir à faire peur. Ils arrivent par grosses bandes sur l’eau. C’est ben simple, ils nous mangent », résuma-t-il.

Incrédule, le Survenant sourit : mais le midi, avant la fin du repas, il se leva de table et, le chien attaché à ses pas, il sortit se dirigeant vers le quai, sans dire un mot, de peur que Didace ne réclamât le canot.

Z’Yeux-ronds tremblait d’excitation. Pour l’empêcher d’aboyer, Venant le calma à petits tapotements sur les flancs. Dans le port, les canes, curieuses et affolées, l’œil rond, cessèrent de barboter et tendirent le cou. Le chien, du nez, poussait déjà le canot. Étonné, il regarda le Survenant s’éloigner sans lui. Partagé entre l’envie de se jeter à la nage et celle d’accompagner l’embarcation en courant à toute éreinte sur la grève, il sautait en tous sens. Mais un aboiement approchait sur la route : Z’Yeux-ronds vira de bord et alla au-devant.

Une fois hors de la vue des Beauchemin, Venant avironna à coups plus modérés. Il prendrait amplement son temps pour se rendre au lac. Le soleil était haut et le phare de l’île-aux-raisins le guiderait. Depuis plusieurs jours le plein automne s’était appesanti sur le Chenal du Moine. Sous son joug on eût dit la campagne entière saisie d’inquiétude. Plus de bruissements et de friselis dans les arbres,