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MARIE-DIDACE

une ampleur, une importance qui donnaient au moindre d’entre eux quelque chose de définitif. Même les objets semblaient lui obéir. Jamais elle ne renversait rien. Phonsine, gauche de sa nature, toujours hésitante, dont la main incertaine et nerveuse, maladroite laissait tomber le pain presque à chaque repas et qui, le plus souvent, posait une chaise seulement sur trois pattes, pensa : « Elle ferme une porte comme si c’était une tombe. Sans même s’en apercevoir. Être grasse et forte comme elle, je me tâterais ben de joie, devant le monde, à cœur de jour ! » Elle mesura l’injustice de la loi des corps : la fille aînée, inconsciente de sa force, héritière de la vigueur des Beauchemin. Amable, chair molle, sans muscle, toujours prêt à se dérober à l’effort. Ce que l’Acayenne ne ferait de lui, si Phonsine n’ouvrait pas l’œil, et le bon !

La voix morte, elle répondit à Marie-Amanda :

— Une femme comme elle dans une maison, pour moi c’est surtout ben de la crainte.

Marie-Amanda se révolta :

— Vas-tu passer toute ta vie le cœur serré, dans l’angoisse de même ? Rien qu’à te regarder, il se forme une brume dans la maison. Tu vas devenir invivable.

Phonsine s’approcha de la fenêtre. Au dehors, le poulain prenait plaisir à effrayer les poules.