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LES SIÈCLES MORTS


Ils ont fui. Le vent souffle et pousse dans l’espace
La neige inépuisable en tourbillons gonflés ;
Un hiver éternel suspend, en blocs de glace,
De rigides torrents aux flancs des monts gelés.

Des amas de rochers, blancs d’une lourde écume,
Témoins rugueux d’un monde informe et surhumain,
Visqueux, lavés de pluie et noyés dans la brume,
De leurs blocs convulsés ferment l’âpre chemin.

Des forêts d’arbres morts, tordus par les tempêtes,
S’étendent et le cri des voraces oiseaux,
Près de grands lacs boueux, répond au cri des bêtes
Qui râlent en glissant sur l’épaisseur des eaux.

Mais l’immense tribu, par les sentiers plus rudes,
Par les ravins fangeux où s’engouffre le vent,
Comme un troupeau perdu, s’enfonce aux solitudes,
Sans hâte sans relâche et toujours plus avant.

En tête, interrogeant l’ombre de leurs yeux ternes,
Marchent les durs chasseurs, les géants et les forts,
Plus monstrueux que l’ours qu’au seuil de leurs cavernes
Ils étouffaient naguère en luttant corps à corps.

Leurs longs cheveux, pareils aux lianes farouches,
En lanières tombaient de leurs crânes étroits,
Tandis qu’en se figeant l’haleine de leurs bouches
Hérissait de glaçons leurs barbes aux poils droits.