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LES SIÈCLES MORTS

Frissonne et s’élargit sa barbe juvénile
Sur la froide blancheur de son torse immobile ;
Au bord du lit étroit retombe un bras glacé
Près des vases de terre et du glaive émoussé ;
Et le sang généreux, le sang du Dieu s’épanche,
Jaillit du flanc ouvert et de la cuisse blanche,
Inonde les genoux, coule en filets pourprés
Et d’un tiède ruisseau baigne les pieds sacrés.

Ô deuil ! les Dieux hagards s’agitent et se lèvent.
Ils frémissent ; leurs yeux pleurent ; leurs cris s’achèvent
En de longs hurlements. De lamentables mains
Se tendent vers la couche, et des bras surhumains,
Violents, lacérés, tordus, criblés d’entailles,
D’une sanglante pluie aspergent les murailles.
Les Dieux, ivres d’horreur, s’élancent. Mais voilà
Que surgit devant eux, près du lit qui trembla,
Ištar, la Mère auguste et l’Epouse immortelle,
Qui, d’un geste irrité les repoussant loin d’elle,
Protège encor Douzi de son voile étendu.
C’est Elle ! Elle a versé sur son époux perdu,
Avec ses pleurs jaloux, le flot des aromates.
Elle a sur la chair pâle et sur les lèvres mates
Collé sa bouche avide et ses baisers ardents.
Et rien n’a répondu. Nul souffle, entre les dents,
À son dernier sanglot n’a mélangé d’haleine.
Le cadavre adoré, sur les tapis de laine,
Est comme un bloc d’albâtre et n’a pas tressailli.
Et la Déesse, encor rouge du sang jailli,