Page:Guerne - Les Siècles morts, II, 1893.djvu/99

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Nuits sombres, nuits d’amour, dont la femme était fière
Comme d’un grand combat où nul n’avait vaincu,
Quand l’aube, au fond des bois, montait sûr la clairière !

Ainsi le souvenir du libre temps, vécu
Sous la tente nomade, entre au cœur des captives,
Comme en un sein percé tremble un poignard aigu.

Ce soir, les enchaînant dans des chambres furtives,
Les vainqueurs méprisés, ceints de lierre et de fleurs,
Outrageront leur deuil par des amours chétives.

Et des maîtres nouveaux, lâchés, traîtres, voleurs,
Courberont pour jamais, dans la prison des villes,
Celles dont les yeux bleus n’ont point connu les pleurs.

Et pâles de l’effroi des voluptés serviles,
Les femmes, à l’instant suprême, ont vu surgir
La vision des rocs, des forêts et des îles.

Elles ont entendu le vent croître et "mugir
Dans les arbres sacrés, quand le Druide antique
Secouait le flambeau sur le plus haut men-hir.

Sous la lune d’argent’, l’enceinte granitique
Semblait un champ neigeux où des géants dressés
Prolongeaient en silence un conseil fantastique.