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Corsolt monte à grand’ peine sur son cheval : il pend à son cou un écu flamboyant d’or, large d’une toise ; mais il dédaigne de s’armer d’une lance. Malgré le poids de la double armure du cavalier, le cheval était si alerte qu’à la course il dépassait lièvre et lévrier.

Corsolt s’adressant de sa grosse voix à son oncle, lui crie :

— Ordonnez à votre sénéchal de dresser les tables et de servir le dîner ; il n’est pas nécessaire de le retarder pour ce Français, que j’aurai tué en moins de temps qu’il ne faut pour parcourir l’espace d’un demi-arpent. Je ne pense même pas me servir de mon épée ; si je parviens à lui faire sentir le poids de ma masse d’armes, que jamais noble homme ne me serve à dîner, si je ne l’abats du coup, lui et son cheval.

— Que Mahomet te protége ! crièrent les païens ; et là-dessus le géant se mit à galoper à travers le camp.

Lorsque le comte Guillaume l’aperçut, et le vit si hideux et si chargé d’armes, il ne faut pas s’étonner qu’il se troubla. Il invoqua Dieu. Puis remarquant le noble coursier :

— Sainte-Marie, dit-il, quel bon cheval ! Comme il doit venir en aide à son cavalier ! Je me garderai bien de l’estropier de mon épée.

Ce n’était pas là la pensée d’un couard !

Il descendit de cheval, et se tournant du côté de l’Orient, il fit en toute humilité une longue prière, pour demander à Dieu et à la Sainte Vierge de le protéger contre ce géant, et de le préserver de toute lâcheté qui pût déshonorer son lignage. Puis après s’être signé, il se leva.

Le Sarrasin vint à lui tout étonné et lui demanda :

— Dis-moi, Français, à qui as-tu parlé si longuement ?

— Tu le sauras, dit Guillaume. À Dieu, le glorieux souverain de l’univers. Je lui ai demandé de soutenir mon bras, afin que je puisse te couper tous les membres, et te vaincre en ce duel.