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Cette action ne peut être arbitraire ni fortuite : elle doit nécessairement émaner du caractère du héros et de la situation dans laquelle il se trouve. Eh bien ! les événements qui se déroulent dans le poëme de Guillaume d’Orange se groupent autour de l’action individuelle du héros et en dépendent. L’idée générale du poëme, c’est la délivrance du pays du joug des Sarrasins ; mais cette idée se complique du désir que Guillaume a conçu de s’approprier le domaine et la femme du chef des ennemis, et des efforts que lui coûte la défense de ce bien, une fois qu’il l’a conquis.

Et quant au caractère du héros, il nous apparaît fort et complet : il a un véritable attrait, parce qu’il exprime, non-seulement les sentiments et les idées populaires d’une époque héroïque, mais encore les sentiments les plus élevés de l’humanité. Si d’un côté il est sans pitié pour les ennemis de la foi, d’autre part il aime les siens d’un amour désintéressé ; il est prêt à pardonner et à oublier l’offense ; s’il a l’âpre rudesse d’un homme de fer, cette rudesse même est la preuve de la noblesse de son âme ; il est plein de bon sens et d’honneur ; son dévouement à son seigneur légitime n’est surpassé que par son amour pour la vérité et la droiture ; sa bravoure est à toute épreuve ; et sa piété, brochant sur le tout, en fait, plus que toute autre qualité, le type du guerrier chrétien de son époque. On peut se révolter contre la crudité de la scène qui se passe à Laon, contre la singulière morale d’Orable, qui renie ses dieux, son mari et ses enfants, pour se jeter dans les bras d’un mari chrétien ; on peut se récrier contre la férocité que manifestent les héros, Guillaume autant que Renouard, à l’égard des Musulmans ; tout cela est un reflet non exagéré des mœurs du temps ; et tout cela est d’ailleurs compensé par les scènes attendrissantes entre Guillaume et son neveu mourant, les adieux de Guibour et de son époux, un vif sentiment de justice et de loyauté, admirablement rendu dans la première scène du Charroi de Nîmes, une piété sincère, qui perce à chaque moment. Certes, le caractère de Guillaume d’Orange mériterait un examen détaillé, l’appréciation du poëme ne pourrait qu’y gagner.

Ajoutez à tout cela un style clair, simple et harmonieux ; une manière de peindre vraiment épique par l’absence d’observations et de raisonnements qui nuisent à la marche du récit ; un vers sonore et majestueux ; et il faudra convenir que ce poëme ne mérite nullement le dédain avec lequel on a souvent parlé des productions poétiques du moyen âge.

Malheureusement à toute médaille il y a un revers.