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une lance niellée ; le bois en était de frêne et la pointe d’un acier finement trempé ; la banderolle y était attachée par cinq clous d’or niellés.

Cependant le comte Guillaume avait fait dresser une quintaine dans le pré et dit à haute voix :

— Chevalier Renouard, faites vos preuves ! Je vous prie de jouter à la quintaine par amour pour moi, et d’y frapper un seul coup, pour voir comment vous vous en tirerez.

Renouard lui répondit :

— Ce serait une honte. Monseigneur Guillaume, si vous perdez un de mes coups, par saint Denis ! vous y aurez grand dommage. Attendons les Sarrasins et les Esclavons, et alors je vous ferai voir comment je sais jouter.

Les Français en l’entendant rirent de bon cœur. Alors Guibor au fier visage lui dit :

— Sire Renouard, c’est pour toi que j’ai fait dresser la quintaine ; sur cinq poteaux il y a cinq forts hauberts et cinq écus intacts. Or je te prie et te requiers de l’attaquer par amour pour moi ; je t’en aimerai d’avantage. Je verrai comment tu sais manier tes armes et conduire et diriger ton cheval. J’aimerais tant à te voir baisser cette lance !

— Je ne puis rien vous refuser, répondit Renouard. Je ne croyais pas avoir à donner un coup ici ; j’aurais beaucoup mieux aimé m’exercer sur les mécréants : l’emploi de mon bras eût été meilleur. Mais, belle sœur, je ne veux pas vous courroucer : je jouterai pour vous faire plaisir, d’autant plus que vous m’en aimerez mieux, si je fais bien.

Les Français se retirent en arrière et s’alignent, et Renouard enfonce les éperons dans les flancs de son cheval en embrassant l’écu, comme font les chevaliers, et en brandissant la lance au fer tranchant. Il frappe un grand coup à la quintaine dont il perce les écus, démaille les hauberts et met les cinq pieux en pièces ; en un mot il jette le tout par terre. Puis il revient en arrière et faisant le tour français, il tire l’épée comme un chevalier consommé.